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navigation. L’opération a pleinement réussi ; les marais ont disparu. Les parties les plus élevées sont depuis longtemps livrées à la culture des céréales, les plus basses sont couvertes de fourrages et de plantations de roseaux.

Mais les marais inférieurs sont restés jusqu’à ce jour à l’état de véritables marécages. La plaine de Saint-Gilles à la mer est un bas-fond dont le sol est presque partout en contrebas du niveau de la mer et de celui du canal. Le dessèchement ne peut donc être opéré directement par un simple égouttage ; il ne pourrait avoir lieu que par l’inondation de ces bas-fonds au moyen des eaux troubles du Rhône dont les dépôts exhausseraient le sol d’une manière régulière et continue. Malheureusement le Rhône endigué ne recouvre plus la plaine à l’époque de ses crues, et les eaux du canal lui-même, bien qu’elles soient prises au fleuve, n’arrivent à Saint-Gilles qu’après avoir parcouru un assez long trajet, se clarifient en route, et n’apportent que des quantités de limon tout à fait inappréciables. Au demeurant le Rhône, depuis les travaux d’endiguement moderne, a cessé d’être pour la plaine ce qu’il était autrefois, un agent de fertilisation et de colmatage.

Ces marais inférieurs forment deux bassins distincts : le plus rapproché de Saint-Gilles est le bassin de Scamandre, dont le centre est occupé par un étang dont le plafond est à 1m,50 en contrebas du zéro de la mer ; le plus éloigné est l’étang de Leyran ou Grand Palus, séparé du premier par une ligne de dunes recouvertes de distance en distance par les débris de la Sylve Godesque. Cette lisière plus ou moins boisée est le premier cordon littoral ; c’est l’ancienne limite de la mer, celle qui existait tout à fait à l’origine de notre période quaternaire. L’étang de Leyran est en-deçà ; il a donc fait partie, à une époque géologique récente, du domaine de la mer et n’a été rattaché au continent que par la formation de flèches de sable qui ont donné naissance dans la plaine d’Aigues-Mortes à une succession d’étangs dont les eaux, d’abord saumâtres, deviennent de plus en plus salées à mesure qu’on approche de la plage moderne. L’aménagement agricole du bassin de Scamandre a été très bien conçu et est en bonne voie. Ne pouvant l’assécher, on l’a inondé, et l’ancien cloaque est aujourd’hui remplacé par de magnifiques marais roseliers, dont les produits sont d’un excellent revenu. Mais cette transformation ne s’étend pas sur toute la superficie du bassin, et il reste encore près de 6,000 hectares dont les eaux stagnantes ne sont pas avivées par l’irrigation et contribuent, avec la majeure partie des marécages d’Aigues-Mortes, à entretenir dans le pays un germe de fièvres pernicieuses.

La situation de l’étang de Leyran et de toutes les terres basses qui l’environnent est bien autrement déplorable, non-seulement au