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s’étendre sur le sol si l’on voulait y respirer. Autour des tentes, sur des échafaudages, étaient posés des bateaux ressemblant aux kadjacs ou légères embarcations des Groënlandais.

Nous avons dit qu’aussitôt après l’arrivée de la Vega, les Asiatiques étaient venus la visiter ; l’attention des explorateurs se porta sur un personnage que ses compagnons appelaient Tcheporin et qui leur parut être le plus riche et le plus influent d’entre eux. On crut avoir affaire à un chef ; il n’en était rien, les Tchouktchis qui vivent le long des côtes n’en ayant pas. Il n’en est pas de même de ceux qui vivent loin de la mer et qui ont des troupeaux de rennes ; chaque tribu a son chef ou errim. En outre, ils ont deux grands chefs nommés par les Russes et qui se partagent le pays de l’est à l’ouest. Pendant les foires, ces chefs, dont nous présenterons plus loin un type à nos lecteurs, rassemblent les tributs qui doivent être versés dans leurs mains avant l’ouverture des transactions qui ont lieu dans ces assemblées de marchands. Les Tchouktchis des rennes mènent une vie nomade ; après les foires, au printemps, ils errent avec leurs grands troupeaux dans la direction de l’est dans l’espoir de faire quelque commerce sur les côtes du détroit de Behring ; à l’automne, ils reviennent dans l’intérieur des terres. Leur territoire s’étend au sud de l’Anadyr et à l’ouest de la Kolyma, mais les Russes leur ont permis de parcourir les espaces situés à l’est et à l’ouest de ces fleuves. Mais revenons à Tcheporin. Un orgue qui se trouvait à bord fît ses délices : il s’en montra tellement heureux qu’il se mit à danser de façon à être bientôt en nage, grâce au vêtement en peau de renne dont il était vêtu. Pour corriger l’atmosphère que cette danse empestait, on l’arrosa d’eau de Cologne ; mais sa joie n’eut plus de bornes lorsqu’il entendit les accords d’une boîte à musique qui jouait sans qu’on y touchât ! A dater de ce jour, Tcheporin fut très dévoué aux voyageurs, et il les accueillit dans sa demeure avec une grande cordialité. Il se montra aussi très satisfait de la permission qu’on lui donna d’amener à bord son épouse favorite. Quoique les Tchouktchis soient chrétiens, ils n’ont point renoncé à la polygamie, et tout indigène aisé a deux femmes. Pour lui, le baptême n’est qu’une simple cérémonie qui lui procure une certaine quantité de tabac et d’eau-de-vie ; c’est ce qu’ils ont de commun avec les Chinois, et, de même que les Chinois, ils n’obéissent aux commandemens du christianisme qu’autant que les commandemens ne contrarient ni leurs goûts, ni leurs usages, ni les superstitions léguées par leurs aïeux.

L’habillement des hommes, en peaux de rennes, ressemble à celui des Lapons ; en cas de pluie ou de neige, ils portent un surtout en peau de boyaux ; pour se parer, ils mettent un vêtement de coton