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roi : un procès qui n’allait pas à moins qu’à présenter un de ses prédécesseurs comme hérétique et simoniaque ne semblait pas alors beaucoup l’émouvoir. Il espérait sans doute éluder à cet égard ses promesses et détourner par d’autres faveurs l’esprit du roi d’une satisfaction improductive et infructueuse.

Le premier acte de Clément V (26 novembre) prouve que les petites affaires le préoccupaient au moins autant que les grandes. Les luttes de préséance entre les sièges archiépiscopaux de Bordeaux et de Bourges, dont la primatie était mal définie, lui avaient autrefois causé beaucoup d’ennui. Clément V donna complètement raison à son ancienne église de Bordeaux et déposa durement Gautier de Bruges, évêque de Poitiers, qui lui avait fait de l’opposition. Gautier mourut peu après, et voulut être enterré tenant dans sa main, écrit sur parchemin, son appel au jugement de Dieu et au futur concile contre l’arrêt passionné qui l’avait frappé.

La victoire des Français ou plutôt des Gascons était encore incertaine. La mort de Clément l’eût remise aux hasards d’un conclave divisé en deux partis égaux. Le 15 décembre, le triomphe complet de la France fut irrévocablement scellé. Clément nomma dix cardinaux, dont neuf français et un anglais. Clément ne se fit nul scrupule de tenir grand compte de ses relations personnelles. Parmi les nouveaux élus, Pierre de La Chapelle avait, dit-on, été son maître à Orléans ; Raimond de Got était fils de son frère, Arnaud Garcias, vicomte de Lomagne; Arnaud de Chanteloup, Guillaume Arrufat, Arnaud de Pelegrue, étaient ses parens et ses alliés à divers degrés. Arnaud, Béarnais, dut son élévation à la familiarité du nouveau pape. La nomination de Bérenger de Frédol, de Nicolas de Fréauville, d’Étienne de Guise, était justifiée par leur mérite; peut-être cependant la recommandation du roi n’y fut-elle pas étrangère. L’Anglais Thomas de Jorz était confesseur du roi Edouard. Ainsi se fit, dans le corps dirigeant de l’église romaine, une des révolutions les plus brusques dont l’histoire ecclésiastique ait gardé le souvenir. L’élément italien fut mis tout à fait en minorité. L’élément gascon et limousin eut une prépondérance marquée, et, comme, chez les nouveaux élus, la capacité s’unissait à l’âpreté dans la poursuite des intérêts mondains, une sorte de compagnie se forma pour l’exploitation en commun de l’inépuisable fonds de la chrétienté. C’est au mois de décembre 1305 que le grand rêve de Grégoire VII fut décidément écarté, et que la victoire de Philippe le Bel sur la papauté fut un fait acquis sans retour.

Dans la nomination aux évêchés et aux principales fonctions ecclésiastiques, Clément donna également libre cours à la passion qu’il avait de placer ses parens et ses compatriotes. Arnaud Garcias devint gouverneur du duché de Spolète. La recommandation du