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Dès la première entrevue du pape et du roi à Lyon, en 1305, il avait été question de cette affaire capitale, qui devenait de plus en plus la préoccupation exclusive de Philippe et de ses conseillers. La pensée de l’abolition du Temple était juste et légitime. L’ordre n’avait plus de raison d’être depuis la prise des dernières forteresses chrétiennes en Syrie. Cette milice sans objet constituait en dehors des nations une puissance exorbitante, qui arrêtait le premier besoin du temps, la formation de l’état. Les innombrables donations en faveur de l’œuvre de terre sainte, qui se produisaient chaque jour, n’étaient qu’en apparence des actes pieux; en réalité, il s’agissait d’obtenir la protection d’une grande camorre qui s’étendait à toute la chrétienté. Ceux qui n’avaient rien à donner se donnaient eux-mêmes; ils s’avouaient les hommes du Temple, prêtaient serment de fidélité, en retour de quoi l’ordre les mettait à couvert de tous les dangers. Les dangers en question, c’étaient les agens royaux, c’étaient les côtés odieux des nouvelles institutions nationales, qui se consolidaient à grand’peine. Les gens de basse condition échappaient ainsi à leurs souverains naturels, souvent fort durs. Même les gens des abbayes et des églises se faisaient les cliens du Temple ; on voit souvent les églises réclamer auprès du roi contre cette tendance, qui anéantissait leur autorité sur leurs serfs. Il est incontestable que la société moderne, à ses origines, avait pour premier devoir de faire disparaître un pareil abus ; mais l’abolition directe de l’ordre et l’assignation de ses biens à des objets d’utilité publique étaient choses alors impossibles. Philippe et ses conseillers, pour arriver à leurs fins, furent obligés d’avoir recours à la fourberie et à la procédure cruelle que l’église elle-même avait inventée, cent ans auparavant, contre ses ennemis.

Dès le milieu de 1306, on sent que l’affaire s’envenime. Clément est vivement pressé par les ambassades du roi. Sa maladie lui sert de prétexte pour éluder les exigences de Philippe. Dans une lettre datée de Pessac, près Bordeaux (5 novembre 1306), il accepte le projet d’une entrevue, destinée à établir un accord sur les graves questions que soulevait l’ambition royale. La fin de l’année 1306 est marquée par de nombreuses concessions. Lors de son séjour à Lyon, à l’époque du couronnement, le roi avait obtenu une dispense générale pour que ses enfans pussent contracter, dans certaines limites, des unions défendues par l’Église. Cette dispense ne suffisait plus : le roi voulait une dispense spéciale qui couvrît contre toute éventualité de procès futurs le mariage de son fils Philippe et de Jeanne de Bourgogne. Clément accorda tout, non sans embarras. Il n’était guère payé de retour. Il eût voulu amener le roi à une politique de conciliation avec l’Angleterre; il ne gagna rien. Le 7 janvier 1307, il écrit au roi une lettre où l’on commence à