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Clément ne pouvait que céder. Il sentait que, poussé à bout, Philippe l’eût traité comme il avait traité Boniface, et eût fait passer pour des crimes plusieurs des actes où il l’avait lui-même engagé et dont il avait tiré profit. Clément affecta un changement d’opinion, avoua que des faits récemment arrivés à sa connaissance lui avaient inspiré des doutes, feignit de vouloir être éclairé. Le 31 juillet 1308, il nomma la commission pour instruire le procès. En réalité, il n’y avait plus de lutte que sur la question des biens. Le roi et le pape proclamaient que ces biens seraient dévolus à l’œuvre de terre-sainte ; mais le roi espérait, par des moyens détournés, en garder une bonne part. Les templiers, en définitive, étaient livrés au roi. Guillaume de Plaisian rapporta de Poitiers des liasses de pièces qui permettaient de faire tout ce que l’on voulait. Les biens furent mis sous l’administration d’agens nommés par le pape et les évêques, sur la présentation de Philippe.

Clément cédait tout sur l’affaire des templiers, car il ne voulait rien céder sur l’affaire de la mémoire de Boniface. Les instances de Philippe devenaient chaque jour plus pressantes. La pensée que l’on était au cœur même des états d’un roi qui s’était montré capable de toutes les violences paralysait de terreur la cour de Rome. Clément voulut fuir; selon certains récits, il aurait même fait une tentative d’évasion. Son angoisse était extrême. C’est alors que le cardinal de Prato lui ouvrit, dit-on, cet avis :

« Saint-père, je vois un remède au mal présent ; c’est de persuader, s’il est possible, au roi que sa demande renferme une question difficile, ardue, et sur laquelle les cardinaux sont partagés ; qu’une telle question ne peut être traitée que dans un concile général ; que d’ailleurs, au milieu d’une si grave assemblée, l’examen des inculpations soulevées contre Boniface VIII sera plus solennel, et la satisfaction du roi plus complète. Si l’on vous objecte la crainte que les préjugés des pères n’influent sur leur jugement, dites que vous ne ferez nulle mention de cette affaire dans la bulle de convocation, qui ne devra alléguer d’autres motifs que la réformation des mœurs et les intérêts généraux de l’église. L’urgence du concile étant démontrée et reconnue, vous en fixerez la réunion à Vienne en Dauphiné; car, outre que la position de cette ville la rend d’un accès facile, son indépendance du royaume de France vous y mettra à l’abri de toute contrainte de la part du roi. »

C’était là une solution des plus habiles. Le roi ne pouvait que souscrire à l’idée d’un concile, où il trônerait en défenseur de la foi et verrait toute l’Europe chrétienne réunie autour de lui comme autour d’un second Charlemagne. Philippe, à diverses reprises, avait fait appel à l’autorité d’un concile général; on feignait d’entrer dans ses vues. De Poitiers, le pape convoqua le concile à