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toujours triomphante quand il lui suffisait d’avoir des hommes d’église pour agens, échoua dans le cas où il eût été nécessaire d’avoir de vrais hommes d’état, habitués à traiter les affaires humaines avec largeur. Clément avait désormais un point d’appui contre les prétentions capétiennes. Le 25 juillet, il confirma l’élection de Henri, en y mettant la condition que le nouvel empereur se ferait couronner à Rome par lui dans deux ans. Il s’excusait de ne pas assigner un terme plus rapproché, à cause du concile général. Le premier dimanche d’août, Robert, roi de Naples et comte de Provence, vint à Avignon recevoir, en qualité de vassal du saint-siège, l’investiture de ses états. Les ambassades brillantes, les spectacles de toute sorte se succédaient dans Avignon ; c’étaient des fêtes perpétuelles, et la petite cité provençale devint bientôt un des centres les plus animés du monde occidental.

Clément eût enfin joui dans ce pays délicieux du repos qu’il aimait, si l’ardeur sombre de Philippe eût permis aux grandes affaires de dormir un moment. Avant de quitter Poitiers, Clément avait fixé au 2 février 1309 l’ouverture des débats contradictoires sur la mémoire de Boniface. Nous avons raconté tous les détails de ce lamentable épisode, qui fut pendant deux ans le scandale de la catholicité[1]. Pendant deux ans, Avignon vit les témoins subornés de Guillaume de Nogaret et de Guillaume de Plaisian, avec une audace qui n’a jamais été égalée, accumuler contre celui que l’église entière avait tenu pour son chef toutes les horreurs que peut concevoir une imagination souillée. Nous avons également montré par quel tour habile Clément réussit à sortir de ce terrible embarras. La force du parti anti-pontifical baissait en France. L’influence de Charles de Valois et des princes du sang, qui devait provoquer, après la mort du roi, de si terribles réactions, commençait déjà à l’emporter sur celle des juristes. Clément d’ailleurs, depuis l’élection de Henri de Luxembourg, se sentait appuyé. Sa politique prenait chaque jour plus d’indépendance et de fermeté.

Le principe du pontificat romain, en effet, était encore tellement vivant, malgré les causes nombreuses qui auraient dû, selon nos idées, en amener le complet abaissement, que le moment où la papauté semblait fugitive, humiliée, fut celui où elle remporta une de ses plus importantes victoires. Ferrare, par suite d’une guerre de succession, avait été occupée par la république de Venise, désireuse de se créer une puissance territoriale en Italie. Quand le légat Arnaud de Pelegrue, neveu de Clément, arriva à Bologne, au mois de juin 1309, pour s’opposer au projet des Vénitiens, il n’avait pas avec lui un seul homme. Il prêcha une croisade qui devait offrir

  1. Voir la Revue du 15 avril 1872.