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« Genève, 1811. — Mandez-moi, je vous prie, si vous avez vu M. de Barante, et s’il s’est laissé aller à vous dire ce qu’il a appris à Paris de la cause de sa destitution. Je me sens partout un être redoutable, et je voudrais souvent me dépouiller de moi-même. »

Mme Récamier ne pouvait pas répondre avec plus de précision que Montlosier. Avoir une admiration respectueuse pour Mme de Staël était un crime suffisant. A quoi bon chercher d’autres motifs?

M. de Barante père n’accepta pas d’entrer dans l’Université. Il se retira dans ses terres de Thiers. Prosper, son fils, devenait préfet de Nantes. Montlosier, très occupé de ses procès et de la création de son domaine de Randanne, s’éloigna de Paris. Il n’y revint qu’en 1812. Les événemens qui s’accomplissaient donnaient raison à ses fâcheux pronostics. Attentif aux péripéties de la fortune de l’empereur, il lui remettait courageusement sur la nécessité de la paix des mémoires très étudiés. Pressentant les désastres, il osait dire que sa politique était des plus folles. Il ne croyait à aucun bien, pas même en espérance. Du dehors et du dedans, à ses yeux, il ne viendrait que tourmens et misères. Il n’y avait déjà plus de ressorts ni de ressources. Heureux, pensait-il, si en perdant jusqu’au souvenir de nos prospérités, nous pouvions maintenir la défensive sur la ligne du Rhin !

Toutes ses lettres, à partir de la campagne de 1811, sont inspirées par les mêmes inquiétudes. Elles ne nous apprennent rien de nouveau, mais elles constatent jour par jour un certain réveil de l’opinion. A son retour de Russie, l’empereur irrité avait prononcé devant les corps de l’état deux discours qui firent sensation. Le 22 décembre 1812, Montlosier, de passage à Paris, écrit à Prosper de Barante :

« Avez-vous lu les discours? Les deux allusions à la fermeté des magistrats, à Molé et à Harlay, se rapportent à Frochot. Je ne vous ai pas dit son histoire, la voici : le jour de la conspiration Malet, il revenait de la campagne. Quelqu’un lui jeta dans sa voiture un billet où il y avait ces seuls mots : Fuit imperator. En arrivant, en apprenant le trouble de Paris, il crut facilement à la nouvelle. On le fit prévenir par un message qu’il allait recevoir une députation des sections. Il songea aussitôt à les recevoir dans la salle du Trône ; mais il commença par faire enlever le trône, tant il croyait la république établie. Samedi dernier, jour du discours, il fut prévenu par l’archichancelier de ne pas se rendre au conseil d’état. Le message ne le trouva point. Il se rendit au conseil trop tard, de manière qu’il ne put entendre que par le trou de la serrure, portes étant fermées, le discours de l’empereur. Dès qu’il entendit parler de la fermeté du magistrat et de Mathieu Molé, il dit : « Cela me regarde, » et