Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était donc avéré qu’aussi bien en matière religieuse qu’en politique, un parti voulait retourner en arrière.

Montlosier, quand les questions se posèrent, se porta, avec toute la vigueur de son tempérament, du côté des opinions de sa jeunesse. Dès 1816, il avait été effrayé des maladresses du clergé. Il écrivait à M. de Barante le 11 janvier :

« Les prêtres se regardent comme Dieu... Est-il convenable que des prétentions semblables s’élèvent en ce temps-ci? Ils périront et feront périr la nation et le roi avec eux. Je désire que ce peuple-ci revienne à Dieu ! mais il se donnera plutôt au diable que de se donner aux prêtres... Le peuple français peut subir toute espèce de servitude, il ne subira pas celle-là : celle-là rendra odieuse la famille régnante et entraînera sur elle la malédiction des Stuarts... »

« 29 février 1816. — Le clergé cherche à étendre tant qu’il peut sa juridiction. Mon frère, autrefois seigneur, aujourd’hui maire de Saint-Ours, a engagé au mariage deux jeunes gens qui vivaient librement. Les jeunes gens se sont présentés à la municipalité et ont voulu de là aller à l’église. Le curé n’a pas voulu les recevoir. Il n’a pas seulement exigé la confession, mais que ces jeunes gens fissent une sorte de pénitence publique en se séparant publiquement pendant un certain temps. L’évêque approuve le curé. L’un et l’autre y voient un moyen d’accroître leur importance. Nos ancêtres ont mis beaucoup de soins à prévenir cette sorte de prétentions. Le refus de sacrement a été une cause criminelle et susceptible de décret de prise de corps. J’en ai vu moi-même des exemples. Un curé ayant refusé d’administrer l’eucharistie à une fille d’assez mauvaise vie, et cela sans insultes, ayant feint seulement de l’oublier, fut décrété d’ajournement personnel par la sénéchaussée de Clermont. »

Nous rencontrons là toute une théorie qui fut longtemps commune à beaucoup d’esprits, et qu’une étude plus réfléchie des conditions de la liberté et des rapports de l’église avec l’état doit faire écarter. Emprunter à l’ancien régime, à un temps où la société n’était pas sécularisée, où la vie civile et la vie religieuse étaient à ce point mêlées que le roi était un évêque du dehors, emprunter des exemples de mainmise sur le prêtre quand il croyait devoir refuser un sacrement, a été considéré comme une œuvre libérale. Les consciences protesteraient aujourd’hui, nous le croyons, contre cet appel au bras séculier. Bien peu de libéraux, sous la restauration, comprirent du reste la liberté religieuse. Sous la monarchie de juillet elle-même, des préventions obscurcirent cette idée ; ne nous en étonnons pas. Dans l’échelle des conquêtes morales, les idées de tolérance et de justice sont les plus difficiles à atteindre.