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L’impossibilité d’établir le prix de revient a pour conséquence que, dans la lutte du commerce avec les compagnies, la tendance du premier est de prendre ce prix de revient pour base de ses réclamations; comme c’est un minimum au-dessous duquel la compagnie ne doit pas descendre, le commerce cherche à prouver que ce minimum peut être abaissé, et à défaut d’argumens positifs, il en est un qu’il invoque à grands cris. Il dit aux compagnies : La preuve que vous pouvez m’accorder le tarif que je vous demande, c’est que dans telle direction vous l’avez accordé à telle autre industrie. Cet argument est très sérieusement présenté dans le rapport parlementaire où nous lisons : « Les abaissemens de prix consentis par la compagnie d’Orléans sur certaines de ses lignes en vue de la concurrence l’engagent à maintenir des tarifs élevés sur les lignes où elle a le monopole absolu du trafic. Elle cherche ainsi à se couvrir d’une partie des pertes qu’elle subit. Si nous recherchons par exemple ce que paie la marchandise allant de Redon à Bretigny, c’est-à-dire dans une direction où la compagnie d’Orléans n’a à craindre aucune concurrence, nous trouvons que pour â76 kilomètres, elle paie 37 fr. 40, c’est-à-dire 1 fr. 90 de plus que pour parcourir les 623 kilomètres qui séparent Redon de Bordeaux. »

La conséquence à tirer de ce qui précède, c’est que la marchandise qui ne peut se déplacer entre Nantes et Brest qu’à la condition d’être taxée à un tarif extrêmement bas, ne pourra obtenir cette facilité, car il faudra que la compagnie concède un tarif analogue à la même marchandise circulant entre Marseille et Nice. La concurrence du canal de Berry oblige le chemin de fer à transporter les minerais de fer du Guétin à Commentry à 0 fr. 03 par tonne et par kilomètre ; il faudra sur tout le réseau transporter le minerai de fer à 0 fr. 03. Nous voudrions savoir quelle est l’industrie qui consentirait à prélever un bénéfice égal sur tous ses produits. Elle serait promptement ruinée, car le public lui enlèverait immédiatement tous ceux qu’elle offrirait de vendre au-dessous de leur valeur et lui laisserait tous ceux qui sont au-dessus. Le résultat le plus clair sera de fermer le chemin de fer à la grande masse des transports à prix réduits; car les compagnies, obligées de se préoccuper des conséquences d’un abaissement isolé, n’en accorderont plus aucun. Si on veut entrer dans cette voie, pourquoi laisser subsister les classes et les tarifs spéciaux? Il y a quelque chose de bien plus simple à faire; c’est de décréter un prix unique pour toutes les marchandises; vous pourrez alors confier votre exploitation au premier venu, il la mènera parfaitement, et vous supprimerez ainsi tout le personnel commercial des compagnies.

Concluons que toutes ces énormités viennent d’une seule cause, c’est que le point de départ est faux, c’est qu’on veut chercher la