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qui l’ont suivie. Dans toutes ces élections, ils ont obéi à des mots d’ordre bien différens.

Voilà pourquoi il ne faut ni trop espérer en l’avenir, ni trop en désespérer. Tout parti qui croit servir la bonne cause peut espérer lui trouver, à un moment donné, une majorité dans le pays. Nul parti n’est à jamais assuré de la victoire, comme nul gouvernement ne peut compter sur une éternelle durée. Il faut toujours avoir l’oreille et le cœur des masses. Pourquoi les amis de la république libérale et conservatrice n’auraient-ils point cette bonne fortune, s’ils savent parler à l’un et à l’autre? La bourgeoisie est le monde des idées et des affaires. Aux hommes d’idées on peut parler des principes de liberté et de justice violés par une politique jacobine; ils entendront. Aux gens d’affaires on peut parler d’intérêts compromis par une politique radicale et révolutionnaire ; ils comprendront. Le peuple est le monde des sentimens traditionnels et des impérieux besoins. On peut faire appel à ses sentimens blessés, à ses besoins méconnus par une politique qui porte l’inquiétude et le malaise jusque dans les profondeurs des couches sociales. Si l’ouvrier des villes, gardant le mot d’ordre comme une consigne militaire, reste sourd aux avertissemens des conservateurs républicains, l’ouvrier des campagnes leur prêtera d’autant plus l’oreille qu’il n’est ni hostile ni indifférent à ces institutions que sa foi ou sa tradition lui commande de défendre. Il entrera dans la lutte, pour donner la victoire aux libéraux et aux conservateurs, si on lui fait bien comprendre qu’il ne s’agit point de revenir au gouvernement des nobles et des prêtres. C’est sur toutes les classes de cette majorité, hier impériale, aujourd’hui républicaine, en réalité toujours flottante au gré des événemens ou au souffle des vents, toujours ressentant plus ou moins le contre-coup de l’opinion des classes éclairées, qu’il est possible d’avoir prise, parce qu’elles ne sont point possédées d’une idée fixe ni enfermées dans un parti. Si les enseignemens de la haute sagesse politique ne sont accessibles qu’au petit nombre des initiés, les leçons de choses sont toujours à la portée des foules. Dans le cours complet de politique pratique que les amis de la république jacobine se proposent de nous faire, ils n’en sont encore qu’aux premières leçons, et déjà bien des choses iniques et dangereuses commencent à frapper l’imagination des masses. La rentrée trop bruyante des gens de la commune, la fermeture de certains collèges et de certaines écoles, la désorganisation des tribunaux : voilà autant de leçons de choses qui commencent à leur ouvrir les yeux et les oreilles.