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jamais douter de son art. Rien en effet n’est comparable à cette assurance magistrale de l’artiste chez Alighieri, — si ce n’est l’assurance du croyant. Les terzines fameuses[1] dans lesquelles il parle de son génie, de sa renommée, du laurier dont on le couronnera encore un jour sur les fonts mêmes où jadis il fut baptisé enfant, — ces accens fiers, retentissans, qui ont déjà été une fois invoqués ici, Dante les fait entendre précisément et avec une intention marquée[2] aussitôt après la solennelle profession de sa foi d’orthodoxie qui lui vaut, dans le Paradis, les congratulations chaleureuses et trois accolades du prince des apôtres[3]. Faut-il ajouter qu’aucun des successeurs de saint Pierre, depuis tantôt six siècles, n’a pensé à s’inscrire en faux contre cette approbation magnifique ? Depuis tantôt six siècles la catholicité n’a cessé de confirmer la grande parole que Béatrice prononce dans le ciel au sujet de son bien-aimé :

La Chiesa militante alcun figliuolo
Non ha con più speranza[4] !…


L’ABBE DOM FELIPE. — Bravo, mon prince ! c’est par ces vers précisément que j’ai l’habitude de répondre aux protestans lorsqu’ils me parlent de Dante avec un dépit mal déguisé que la congrégation de l’Index n’ait jamais touché au plus grand des poètes catholiques.

LE POLONAIS. — Deux génies profondément religieux ont essayé de donner aussi au protestantisme son « poème sacré, » sa divine épopée : Milton a chanté la chute de notre humanité, et Klopstock sa rédemption. Pourquoi néanmoins l’inspiration de Dante, et de l’aveu des protestans eux-mêmes, a-t-elle été plus universelle et plus complète ? C’est qu’elle fut catholique, c’est qu’elle a pu embrasser non-seulement la damnation et la grâce, mais bien encore le mérite, les œuvres, le Purgatoire…

LE VICOMTE GERARD. — Ah ! vous appelez la Messiade le poème de la grâce !!.. À l’exception de notre prince peut-être, je suis le seul ici probablement à connaître Klopstock autrement que par ouï-dire : de quelle folie n’est-on pas capable en effet, lorsqu’on est attaché de légation à Mecklembourg-Schwérin, qu’on s’ennuie à mourir dans le plus ridicule des postes, et qu’on veut plaire à

  1. Parad., XXV, 1-9.
  2. Ibid., XXV, 10-12.
  3. Ibid., XXIV, 122-154.
  4. Ibid., XXV, 52-53.