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la lumière, il continue à chercher la lumière sur ce point obscur, irritant, et il finit pardonner ce commentaire magnifique du violenti rapiunt de l’apôtre :

Regnum cœlorum violenzia pate
Da caldo amore, e di viva speranza,
Cho vince la divina volontate ;

Non a guisa che l’ uomo all’ uom sovranza,
Ma vince lei, perché vuole esser vinta,
E vinta vince con sua beninanza[1].


C’est surtout la vénération, l’enthousiasme pour les héros et les génies du monde classique qui le portent à scruter cette question et lui font commettre parfois des actes d’un arbitraire magnanime, « Une douleur profonde le prend au cœur » à la vue de tant de nobles esprits retenus dans les limbes par le seul péché de l’ignorance où ils furent du Christ[2] ; et il entoure d’une majesté véritable ce groupe, au milieu duquel il lui est donné d’entrer un moment pour y parler de choses « dont il est beau de se taire ! » Il ne résiste pas au renom de grandeur que Caton a laissé dans les souvenirs de la république expirante : il lui pardonne le suicide, et, qui plus est, la résistance à César, et fait de lui le gardien du purgatoire. Il revient à plusieurs reprises sur la tradition que le Christ, lors de sa descente aux enfers, a fait sortir des limbes nombre d’âmes non baptisées ; il profite de telle légende douteuse pour faire de Stace un chrétien et pour placer l’empereur Trajan au ciel ; il procède de même à l’égard d’Enée par la seule considération des origines de Rome, et à l’égard d’un obscur héros de l’Enéide du nom de Riphée, par la seule raison que Virgile l’a appelé

…. justissimus unus
Qui fuit in Teucris, et servantissimus æ qui.


Et Virgile lui-même, — de quelle auréole de splendeur Alighieri n’a-t-il pas revêtu le chantre mantouan, jusqu’à faire de lui le représentant et le symbole de tout ce qui, en dehors de la foi, peut être le beau, le bien et le vrai ! Je sais bien que le moyen âge tout entier a eu pour l’auteur de l’Enéide un culte véritable et étrange ; qu’il aimait à parler de lui tantôt comme d’un prophète du christianisme, et tantôt comme d’un mage et d’un sorcier ; mais Dante a soigneusement

  1. Parad., XX, 94-99.
  2. Infer., IV, passim.