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les facilités possibles pour constituer des sociétés de production. Quand ils auront ainsi ce que les Anglais appellent fair play, si le collectivisme vaut mieux que l’individualisme, leurs associations supplanteront les entreprises privées, et le régime nouveau s’établira par une évolution graduelle et lente comme se sont faites toutes les transformations économiques. Si au contraire leur principe est inférieur, en tant que stimulant à l’activité du travail, à la création du capital et au progrès industriel, quand même on parviendrait à l’établir de force et révolutionnairement, il ne durerait pas : il disparaîtrait, comme succombe tout organisme inférieur mis en contact avec un organisme supérieur.

Les communistes réclament l’abolition de l’hérédité. Ce n’est point là non plus chose nouvelle. L’expérience en a été faite. Au moyen âge, la succession n’existait pas pour les serfs mainmortables. Afin d’échapper aux reprises du seigneur, ils se mirent en communauté. Ces sociétés coopératives formaient des personnes civiles perpétuelles qui continuaient à tout posséder sans interruption, et ainsi il n’y avait jamais d’héritage. Le même régime existe aujourd’hui chez les Slaves méridionaux. L’hérédité ne s’applique qu’aux effets strictement personnels. Le sol et tous les instrumens de travail sont la propriété collective de groupes où les décès n’ouvrent point de succession. N’est-ce pas l’idéal que nous proposent certains collectivistes? D’où vient qu’au contact de l’esprit moderne, il s’est évanoui et qu’il continue à disparaître dans les pays écartés où il s’était maintenu? N’est-ce pas encore une application de la loi de Darwin? On objectera peut-être que les couvens, où règne non-seulement le collectivisme, mais le communisme absolu, se développent prodigieusement en nombre et en richesse. C’est incontestable; seulement on y trouve le célibat en ce monde et le ciel en perspective dans l’autre, ce qui change tout. Est-ce d’ailleurs au régime du couvent que le congrès de Bâle voulait conduire l’humanité?

C’est à ce même congrès qu’apparaît pour la première fois Bakounine, qui allait lancer décidément l’Internationale dans la voie révolutionnaire. L’agitateur russe représentait à la fois les ouvrières ovalistes de Lyon et les mécaniciens de Naples. Ceci était de l’internationalisme en pratique. Il ne s’occupait pas, lui, de rechercher les formes nouvelles de la société future. Le seul but à poursuivre était, disait-il, la destruction radicale de l’ordre social actuel. De ses ruines surgirait, en vertu de la génération spontanée, une organisation meilleure. « Je veux, ajoutait Bakounine, non-seulement la propriété collective du sol, mais celle de toute richesse, au moyen d’une liquidation sociale universelle, et par liquidation sociale j’entends l’abolition de l’état politique et juridique. La collectivité est la base de l’individu, et la propriété individuelle n’est autre