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chose que l’appropriation inique des fruits du travail collectif. Je demande la destruction de tous les états nationaux et territoriaux, et sur leurs ruines la construction de l’état international des millions de travailleurs, état que le rôle de l’Internationale sera de constituer par la solidarisation des communes, ce qui suppose une réorganisation sociale de fond en comble, » Ainsi plus de nations, plus d’états, plus d’institutions politiques ou judiciaires, plus de propriété privée, plus de Dieu et plus de culte, plus même d’individus indépendans et libres. Destruction totale de tout ce qui existe, et, dans le monde nouveau, comme cellule organique et élément premier de reconstitution, non plus la personnalité humaine, mais la commune amorphe, et ainsi l’immunité rendue semblable à un amas confus de conferves ou à une nébuleuse en voie de formation. Ceci est apparemment le nihilisme. On saisit ici l’origine de cette théorie de la commune autonome qui a surgi lors de la révolution du 18 mars sans qu’on pût dire d’où elle venait. Les étrangers, et notamment le prince de Bismarck, ont cru y voir la revendication d’une plus grande indépendance pour les communes, ce qui leur a paru très désirable en France, où la centralisation est poussée à l’excès. N’était-ce pas d’ailleurs la réforme réclamée par les économistes, par les admirateurs de l’Amérique, par les néo-conservateurs, en un mot par tous les adversaires de l’omnipotence de l’état? En réalité, il s’agissait de bien autre chose. Si l’on veut trouver quelque sens aux actes et aux manifestes de la commune, on y discerne, semble-t-il, l’écho des théories de Bakounine.


III.

Pendant l’année 1870, l’Internationale continua de grandir et de s’étendre. Elle pénétra jusqu’aux extrémités de l’Europe, en Danemark et en Portugal. Cameron, délégué du National Labor Union, des États-Unis, avait apporté au congrès de Bâle l’adhésion de huit cent mille « unionistes. » Une section russe se fonda en Suisse, A Pesth parut la Gazette universelle des travailleurs. Les journaux socialistes se multipliaient partout : la Federacion à Barcelone, l’Eguaglianza à Naples, le Jornal de trabalho et la Tribuna à Lisbonne, le Clamor de povo à Porto, l’Internationale à Bruxelles, le Mirabeau à Verviers, le Devoir à Liège, le Werkman à Amsterdam, le Volksblad à Rotterdam; en France, le Travail, la Réforme et la Tribune populaire; en Allemagne, le parti démocratique-socialiste se constitua définitivement à Eisenach et créa à Leipzig le Volksstaat. Une foule d’autres périodiques socialistes semblèrent sortir de terre. Partout où se formait une section, elle ne tardait pas à obtenir l’adhésion des sociétés ouvrières existantes, quelque fût leur