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des tambours, ni le tonnerre du canon, ni la victoire, ni la défaite ne nous détourneront de nos efforts pour établir l’union des prolétaires de tous les pays. » Le manifeste ajoute : « Le seul fait que, tandis que la France et l’Allemagne officielles se précipitent dans une guerre fratricide, les ouvriers allemands et français échangent des messages de paix et de fraternité, ce grand fait, sans précédent dans l’histoire du passé, nous fait entrevoir un avenir meilleur. Il démontre qu’une nouvelle société s’élève, dont le rôle international sera la paix parce que la base nationale sera partout la même : le travail. »

Après Sedan et la chute de l’empire, un mouvement de sympathie en faveur de la France en république se produisit dans toutes les sections de l’Internationale, même en Allemagne. Le 5 septembre, les démocrates socialistes allemands, réunis à Brunswick, publièrent également un manifeste où nous trouvons ce passage : « Il est de l’intérêt de l’Allemagne de conclure avec la France une paix honorable et acceptable. On prétend que l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine serait le moyen de nous préserver à jamais d’une guerre avec la France. C’est au contraire le plus sûr moyen de la transformer en une institution européenne et d’éterniser le despotisme militaire dans la nouvelle Allemagne. La paix dans de pareilles conditions ne serait qu’une trêve jusqu’à ce que la France soit assez forte pour reprendre ses provinces perdues. La guerre de 1870 porte aussi certainement dans ses flancs une guerre entre l’Allemagne et la Russie que la guerre de 1866 portait celle de 1870. À moins qu’une révolution n’éclate en Russie avant, ce qui paraît peu probable, la guerre entre l’Allemagne et la Russie peut être considérée dès à présent comme un fait accompli. Si nous enlevons à la France l’Alsace et la Lorraine, elle s’alliera à la Russie. Inutile d’en montrer les déplorables conséquences. » Ces avertissemens ne plurent point au général commandant Vogel de Falkenstein, qui, en vertu de l’état de siège, envoya les principaux meneurs rêver de la paix future dans les casemates de Königsberg.

J’ai tenu à mettre en lumière par ces extraits les tendances cosmopolites de l’Internationale. C’est en effet un des traits caractéristiques du socialisme actuel. Il dérive évidemment des idées de l’école de Manchester et en dernier lieu des enseignemens de l’économie politique, qui considère toujours le bien de l’humanité, oubliant volontiers l’existence des états. Etablissez le libre-échange universel, disent les économistes, supprimez les douanes et les armées permanentes, faites des lois identiques partout, et bientôt tous les peuples civilisés ne feront plus qu’une seule famille. Le capital et le travail passeront indifféremment d’un pays dans un autre à la recherche de la rémunération la plus élevée. Déjà