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demande la suppression. Il est curieux de voir à quel point les idées « anarchistes » ressemblent à celles des économistes à outrance : « La société, dit Malatesta, n’est pas l’agrégation artificielle opérée par la force ou par un contrat d’individus naturellement réfractaires. C’est un corps organique vivant, dont les hommes sont les cellules concourant solidairement à la vie et au développement du tout. Elle est régie par des lois immanentes, nécessaires, immuables comme toutes les lois naturelles. Il n’existe pas un pacte social, mais bien une loi sociale. Qu’est donc alors l’état ? Une superfétation — (les économistes disaient un chancre), — qui vit aux dépens du corps social et qui n’a d’autre but et d’autre effet que d’organiser et de maintenir l’exploitation des travailleurs. C’est pourquoi nous voulons détruire l’état. Comment s’organisera ensuite la société ? Nous ne pouvons le savoir. Nous nous défions de toutes les solutions utopiques. Nous ne voulons plus du socialisme artificiel, fantastique, anti-scientifique, « du socialisme de cabinet, » et nous le combattrons comme réactionnaire. Notre seul but doit être de détruire l’état. Ce sera au fonctionnement libre et fécond des lois naturelles de la société à accomplir les destinées le l’humanité. » Ceci est l’expression des idées qui tendent de plus en plus à dominer parmi les socialistes en France, en Italie et en Espagne. L’influence du positivisme et de Herbert Spencer est manifeste.

Avant de se rendre au congrès universel de Gand, les « anarchistes» se réunirent à Verviers, en Belgique, du 5 au 8 septembre 1879. Ils donnèrent à cette réunion, où se trouvaient en tout une dizaine de délégués étrangers, le nom pompeux de « Neuvième congrès général de l’Association internationale des travailleurs. » Les questions discutées trahissent une singulière naïveté. Ainsi : « Dans quelque pays que le prolétariat triomphe, nécessité absolue d’étendre ce triomphe à tous les autres pays. » On ne dit pas comment. « Quels sont les moyens propres à réaliser le plus vite possible l’action révolutionnaire socialiste? » On passe à l’ordre du jour. « Quels sont les moyens de propagande pour les compagnons d’Egypte?» Le point reste à l’étude. On arrive à la puérilité.

A Gand, le 9 septembre, s’ouvrit c le congrès socialiste universel. » Un cortège d’environ quatre mille ouvriers traverse la ville le drapeau rouge en tête et aux sous de la Marseillaise. La police laisse faire, et le public passe indifférent. Nul ne s’effraie, et l’ordre n’est pas un moment troublé. Les séances sont déclarées publiques. Mais presque personne n’y assiste, pas même les ouvriers enrôlés dans l’Internationale. On compte quarante-six délégués appartenant à différentes nationalités, seulement la plupart ne représentent que des groupes insignifians. On espérait réconcilier les anarchistes et les autoritaires, mais le combat ne