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A propos, ne doutez pas de la confiance que le comte d’Artois a en M. de Calonne; et quant à ce qui vous concerne, voilà ce qu’il me mande dans sa dernière lettre: Il serait bien à propos que M. de Vioménil fût aussi le 8 ici; c’est alors qu’on déterminera tout, et qu’on conviendra des pouvoirs à donner.


Le comte ne réussit pas à se tirer de l’entreprise qu’il avait préparée avec un si bel entrain et qu’il voyait compromise par les hésitations des princes, eux-mêmes retardés et contrariés par la diplomatie allemande beaucoup plus que par l’apparente nécessité d’attendre les ordres ou l’adhésion tacite des Tuileries. Il n’était douteux pour personne que le cabinet de Vienne cherchât à faire payer son intervention par la cession de l’Alsace et de la Lorraine, autrefois pays d’Empire. Cette convoitise éternelle de l’ennemi héréditaire exaspéra l’esprit patriote de ces provinces ; les royalistes de Strasbourg eux-mêmes virent se dresser devant eux la grande image de la patrie ; ils hésitèrent entre leurs affections et leur devoir; ils frémirent à la pensée de se faire, de gaîté de cœur, les complices des Allemands. C’est chez le maire Diétrich, royaliste et patriote, que Rouget de Lisle improvisa la Marseillaise. Ce rapprochement n’est-il pas à lui seul une révélation de ce que devait être, à deux pas des camps ennemis, le sentiment intime de Strasbourg, et la haine de l’étranger ne devait-elle pas promptement y prendre le dessus sur l’amour aveugle de la dynastie ?

Le comte d’Artois ne pouvait saisir ces nuances ; M. de Vioménil n’en comprenait que trop l’importance. Mais l’esprit de discipline ne lui permettait pas de se dérober à la mission qu’on lui imposait. Une fois engagé dans l’action, il ne négligea rien pour réussir, comptant bien ne pas demander de secours étrangers, et se jurant de n’introduire que des Français dans la place.

Il exigea des ordres formels et un engagement écrit des princes, non-seulement pour s’imposer avec plus d’autorité aux troupes qu’il s’agissait d’entraîner, mais surtout pour bien établir que l’entreprise était uniquement française et qu’il fallait se prémunir et se défendre contre les interventions, immixtions et concours forcé de Wurmser. L’ordre des princes, dont l’original est écrit de la main du comte de Provence sur une feuille de papier sans chiffre, ni sceau, ni cachet, est ainsi conçu :


Il est ordonné au comte de Viosménil de se rendre sans délai à Reuchem et de se tenir prêt à se porter à Strasbourg avec les troupes qui sont dans les états du cardinal de Rohan, en cas que la garnison de cette ville lui fasse savoir que les portes lui en seront ouvertes et qu’il est en notre pouvoir de nous eu rendre maîtres au nom du Roi.