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décidés plus vite que les adjurations, les reproches, les ardeurs du comte de Vioménil. Celui-ci, désespéré, décida Condé à brûler ses vaisseaux. Le prince lui remit, le 10 janvier 1792, la lettre suivante, avec pouvoir d’en user comme bon lui semblerait.


A messieurs les chefs de corps de la garnison de Strasbourg.

Messieurs, je vous l’ai déjà fait dire : le salut de la France est entre vos mains, ainsi que celui des vrais Bourbons. Ils n’ont de ressource qu’en vous, et vous en serez convaincus quand vous saurez que les frères du Roi sont forcés de quitter Coblentz sans savoir où reposer leur tête. Les gardes du corps évacuent déjà l’électorat de Trêves et tout va suivre. Vous verrez par l’article de la lettre de M. le comte d’Artois que je vous envoie à quel point il désire le succès de l’opération qui lui est confiée. Les princes, la noblesse française, vont être dispersés, proscrits par tous, n’ayant peut-être que la Forêt-Noire pour retraite et pour y finir leurs jours, avec honneur sans doute, mais dans l’horrible certitude de laisser leur Roi, leur patrie, en proie à la fureur des scélérats qui vont effacer la France du nombre des puissances de l’Europe.

C’est à vous, messieurs, c’est à vous seuls qu’il est réservé de tout sauver. Seriez-vous insensibles à cette gloire immortelle ? Je ne puis le penser. Vos moyens sont certains, votre courage n’est pas douteux : mais, quand il serait trompé par le sort, eh bien, messieurs, vous y périrez peut-être, et je ne demande qu’à périr avec vous, mais les gens d’honneur de tous les pays envieront votre mort et la postérité vous citera pour modèles.

Réfléchissez, messieurs, à votre devoir, et votre probité n’hésitera pas plus que votre valeur. Je croirais vous faire tort en vous en disant davantage. Je ne me permettrai pas de vous parler de votre intérêt ; il suffit de vous répéter que vous serez les sauveurs de votre Roi, de votre pays, de la noblesse française et des Bourbons dignes de l’être. Mon admiration vous précède, et la reconnaissance de l’univers intéressé à notre cause sera la première des récompenses qui vous sont destinées.

LOUIS-JOSEPH DE BOURBON.


Le prince ajoutait en post-scriptum ces mots significatifs : Il faut que je sache sous deux fois vingt-quatre heures sur quoi je peux compter.

Il joignait à sa lettre la copie d’une phrase de la dépêche que lui avait adressée le comte d’Artois, de Coblentz, le 1er  janvier 1792 :


Notre situation devient chaque jour plus pénible et plus embarrassante. Aussi vous sentirez sans peine combien nous serions Heureux de voir réussir le grand projet de Strasbourg dont nous sommes convenus