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On dit que Luckner et Diétrich n’ont plus d’argent et qu’ils ont proposé aux officiers de céder leurs appointemens pour faire le prêt. Si cela est vrai, tout nous seconde, et ce serait une belle occasion. Malgré ce que je viens de vous dire qu’on m’a dit de S. (Salm-Salm), ne vous en servez qu’avec précaution et tâchez toujours de le mettre entre deux autres bons.


Cette dépêche se croisa avec un avis désespéré de M. de Vioménil annonçant qu’il était à bout d’inventions et d’énergie, et que tout son dévoûment devenait inutile en présence de la force d’inertie et des fins de non-recevoir des colonels. Il énumérait dans cet avis les combinaisons qu’il comptait proposer à M. de Courtivron si la tentative qu’il essayait de nouveau auprès de Luckner devait échouer. Le prince lui répondit, courrier par courrier, une lettre noble et triste.


Mon cher Vioménil, on ne donne point d’âme à ceux qui n’en ont point. Du moment que ma lettre et la vôtre n’ont fait aucun effet, ces gens-là n’iront point.

Ce n’était pas pour ma gloire seule que je désirais cela, mais pour le salut de la France; parce qu’il m’est prouvé, clair comme le jour, que, ce coup manqué, l’Alsace sera réunie à l’Empire sous un mois, et voilà ce que ces messieurs auraient pu parer. Voilà le service important qu’ils auraient pu rendre. Ils y sont insensibles !

Tant pis pour eux ! La noblesse saura les apprécier; car je ne pourrai pas m’empêcher de lui rendre compte que le coup était arrangé, possible, vraisemblable, presque certain, même de leur aveu; qu’il ne s’agissait que d’oser, et qu’ils n’ont pas voulu oser.

Le plan me paraît bon. Je voudrais seulement que vous en retranchassiez les aides de camp qui doivent parler en mon nom. Cela est parfaitement inutile, et dès qu’une lettre comme la mienne n’enlève pas des officiers, le dire d’aides de camp, inconnus aux soldats, ne les enlèvera pas non plus. Cela me compromettrait vis-à-vis des princes, qui veulent que je ne sois qu’un enfonceur de portes ouvertes, et voilà tout. Entre nous soit dit, ce sont ces jeunes gens qui ont sûrement imaginé cela pour être de quelque chose. Ce sont de fort jolis garçons, pleins de zèle et d’intelligence; mais les officiers peuvent dire ce que diraient les aides de camp, et cela fera même plus d’effet.

Ce que je vous recommande par-dessus tout, c’est d’empêcher un complot isolé contre le maire. Puisqu’on veut que les scélérats restent les maîtres, il est fort inutile, il serait même lâche de s’en défaire par un crime que j’abhorre, loin de l’autoriser, puisque j’ai toujours recommandé de ne faire que de s’assurer des traîtres pour les livrer à la justice en temps et lieu.