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Tout est arrangé, mon ami; ils danseront, suivant leur expression, la Carmagnole. Strasbourg est à nous dans trois jours au plus tard; tenez bon, n’épargnez ni or, ni argent, ni adresse. Nous sommes arrivés à Brumpt sans résistance; là, seuls ces petits crapauds bleus ont résisté, mais solidement. Faites-moi savoir qui les commandait, son caractère, ses passions; nous sommes décidés à sacrifier 500,000 francs pour le gagner. Quand le diable y serait, ce n’est pas la redoute entre Steinfeld et Nieder-Oterbäck ; nous l’avons eue à meilleur compte...

Vous avez dû voir hier le marquis de Villette ; il est entré comme blessé, sur un fourgon... Voici le plan. Deux cents de nos hommes se porteront chez les commissaires de la convention et les égorgeront sans coup férir ainsi que tous leurs suppôts. Tous vos honnêtes gens auront pour cri de ralliement le nom du Roi et une cocarde blanche, seul signe qui sera respecté. Les municipaux dont nous avons les noms seront poignardés...

Égorgez les sentinelles; et si vous êtes surpris, n’y survivez pas; que vos gens périssent en mettant le feu aux magasins à poudre...

Le prince vous promet tout. Que font nos prêtres qui se sont rendus chez vous? Ils sont de la ville et la connaissent parfaitement. Faites trotter ces b...-là, et sans relâche. Ils ont la finesse du diable, ils vous seconderont infiniment.

Décriez tant que vous pourrez les assignats; les 13 millions que vous avez sont réservés pour cela; prodiguez l’or, c’est une bonne ressource. Notre bon ami Pitt vient de nous faire passer par la Hollande 18 millions pour combler le discrédit, etc.


Tous ces détails sont profondément tristes, et l’on voudrait n’avoir à montrer dans l’histoire que des exemples de sacrifice, des types d’abnégation, d’ardeur franche et loyale. Mais il y aura toujours des conspirateurs, et parmi les artisans de complots, ce ne sont pas les plus sincères qui réussissent. Qu’espérer d’ailleurs d’une société ébranlée jusque dans ses fondemens, où le sens des mots et des choses variait avec le caprice, et comment s’étonner que les émigrés aient manqué de patriotisme, alors que sans l’excuse de la surprise et du désespoir, les d’Argenson et les Voltaire en avaient eu si peu?


VICTOR DE SAINT-GENIS.