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retrouvés à Paris, suspects, persécutés, bannis de leurs modestes fonctions universitaires, comme Cousin, Guizot étaient exilés de leur tribune de Sorbonne. Ils commençaient à former un groupe d’esprits indépendans et originaux, qui dépassaient par le vol de leurs idées les doctrines du XVIIIe siècle aussi bien que les préjugés révolutionnaires, et alliaient le spiritualisme philosophique à un libéralisme élevé en politique. D’autres, appartenant par leur naissance, par leurs relations de famille, à des classes sociales différentes, étaient des jeunes gens d’une brillante et forte culture, sans haine contre la restauration, mais vivement épris de liberté, de dignité nationale, de justice. Ils représentaient dans le nouveau libéralisme cette école mondaine et lettrée dont M. de Rémusat, qui en était, a reproduit les traits avec l’émotion du souvenir[1]. C’étaient des volontaires de la pensée que le mouvement des choses rapprochait bien vite des jeunes philosophes de l’École normale, et quelques-uns, notamment M. Duchâtel, M. Vitet, s’étaient rencontrés pour la première fois dans cette petite chambre de la rue du Four où Jouffroy professait avec une éloquence attachante, presque religieuse. Je ne parle pas de tous ceux qui, en dehors de la politique et de la philosophie, mettaient leur génie naissant à créer une poésie, une littérature nouvelle, un art nouveau.

Il y avait, en un mot, dans ce mouvement multiple et grandissant de jour en jour, toutes les Variétés de la vie, de l’éducation et des talens. Ce qui rapprochait tous ces esprits, ce qui est resté le caractère de ces années de la jeunesse du siècle, c’est la foi aux idées, l’ardeur généreuse des convictions, la sève morale ; c’est cette vivacité de passion d’une société renaissante, où l’on s’intéressait à tout, à la charte et à la poésie, aux luttes parlementaires et à une œuvre d’histoire, à une nouveauté littéraire comme à un discours de Royer-Collard, aux Méditations de Lamartine comme à une leçon de Cousin. Époque heureuse, après tout, où la violence même des combats de la politique et de l’esprit s’ennoblissait par la sincérité et par les illusions!

C’est dans ce monde si animé, si vivant, que M. Thiers, nouveau venu à Paris, était entré avec éclat. Il avait fait ses premières armes au Constitutionnel; il n’avait pas tardé à étendre ses relations, à nouer amitié avec tout ce qui était jeune comme lui, notamment avec M. de Rémusat, et tous ces talens qui s’élevaient à la fois se trouvaient même un instant réunis dans un recueil dont un homme actif, M. Coste, avait eu l’idée, les Tablettes universelles. Ce recueil existait déjà; on le réorganisait en rassemblant

  1. Voir les Critiques et études littéraires, ou Passé et Présent, par Charles de Rémusat, 2 vol. in-18.