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contrôlant et s’encourageant mutuellement. D’un seul coup la révolution française trouvait ses deux premiers historiens, et c’était là justement une œuvre aussi neuve que hardie, aussi délicate que difficile.

Ce qu’il y avait de hardi et de nouveau, c’était cette idée de ramener aux proportions historiques une époque si récente et si sombre, dont les résultats étaient sans doute écrits partout, dans la société, dans les lois, dans la transformation des mœurs, mais qui par elle-même restait encore enveloppée d’une redoutable obscurité. Jusque-là en effet, il y avait eu un étrange phénomène. L’empire, par la gloire militaire dont il occupait la nation, par le silence intérieur qu’il lui imposait, semblait avoir reculé dans un passé presque lointain les dix dernières années de l’autre siècle. En s’appropriant les bienfaits civils les plus incontestés de la révolution, l’empire avait mis l’interdit sur tout le reste ; il s’était étudié à imposer d’autorité, de force, si l’on veut, la paix entre les opinions, entre les passions, entre les classes, entre les vainqueurs et les vaincus, même entre la religion et la révolution. Il aurait voulu étouffer jusqu’aux souvenirs, et lorsque ces souvenirs avaient l’air de se réveiller, ne fût-ce que dans un discours académique comme celui de Chateaubriand à propos de Joseph Chénier et de son rôle pendant l’époque sombre, Napoléon éclatait avec violence contre ceux qui troublaient sa politique. Il ne voulait souffrir ni la réhabilitation ni le procès de la révolution; il aurait mieux aimé que de longtemps on n’en parlât plus. Son rêve était d’imprimer aux institutions et aux hommes une effigie nouvelle faite pour tout éclipser. Il avait réussi jusqu’à un certain point à détourner les esprits, à faire oublier le passé. Avec la restauration, le procès se ravivait; il n’était pas jugé ni même instruit. De la révolution que savait-on? Elle rappelait aux uns la terreur, le sang, le roi immolé, les persécutions et les spoliations, aux autres des événemens terribles où ils avaient eu un rôle.

La révolution n’était guère connue encore que comme une redoutable légende ou par des mémoires partiels, par des documens peu répandus, par des plaidoyers intéressés, par les témoignages des victimes et des acteurs survivans. Après quelques années, l’ouvrage qui répondait le mieux à l’idée d’une révision indépendante, d’un jugement supérieur, qui contribuait le plus aussi à réveiller une curiosité intelligente chez les jeunes générations, c’était le livre des Considérations de Mme de Staël ; mais ce n’était qu’un essai, un programme de philosophie libérale et constitutionnelle. Pour la première fois, avec M. Thiers et M. Mignet, la révolution française était ressaisie, interrogée et décrite dans son ensemble et dans ses détails, dans sa marche orageuse à travers