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nombre de petites villes cumulent ces fonctions avec celles de conservateurs du musée, sont sans doute fort instruits en bibliographie et en histoire littéraire, mais pour les choses de l’art, leur éducation est à faire. Ils prendraient volontiers un tableau de l’école milanaise pour un tableau de l’école romaine, un espagnol pour un flamand, un portrait de Porbus pour un portrait de Rubens. Ils font procéder à des restaurations malheureuses, classent mal les tableaux, quand ils les classent, et les placent toujours en dépit du sens commun : les mauvais sur la cimaise, en pleine lumière, les bons touchant le plafond ou à contre-jour. D’autres conservateurs, des amateurs ou des peintres, ont le goût et le sentiment de l’art, mais il leur manque parfois les connaissances qu’il faut pour dresser ou pour réviser un catalogue. Nous connaissons des catalogues où fourmillent les plus téméraires attributions et les erreurs les plus réjouissantes. On s’instruit à les lire. On y apprend entre autres choses étranges que Henri III et Henri de Navarre assistaient du château de Versailles aux opérations de l’armée royale contre les ligueurs, que Séjan et Néron faisaient commerce d’amitié, que le Bronzino appartient à l’école vénitienne.

Cela est mauvais, non point irréparable. Vienne une nouvelle édition des catalogues, ces erreurs disparaîtront. Ce qui est plus grave, c’est qu’un grand nombre de musées, et non des moins importans, sont installés dans des conditions déplorables, non-seulement au point de vue de l’exiguïté des locaux et du mauvais éclairage des peintures, mais au point de vue de la conservation même des tableaux et des objets d’art. Certains musées occupent des rez-de-chaussée d’une humidité extrême. Les tableaux sont constamment couverts de buée; les toiles se distendent sur les châssis; les peintures se détériorent chaque jour davantage. Le musée de Pau est dans ce genre un lamentable exemple. Ce musée est cependant plein d’avenir, grâce à la rente de 8,000 francs dont il dispose et au goût sûr du conservateur. De création récente, il ne contient guère que des œuvres de l’école contemporaine, mais toutes d’un véritable intérêt. Il a cent et quelques tableaux, un Ribot de la dernière puissance, une tête d’Henner d’un effet magique, un Worms d’une proportion inusitée, la fameuse Batterie de tambours de Guillaume Régamey, et plusieurs toiles très importantes des maîtres d’aujourd’hui. Par malheur, l’installation est absolument honteuse. Ce musée est situé dans un rez-de-chaussée ou plutôt dans une cave obscure, rongée par l’humidité. Le soleil n’y pénètre pas l’été, l’hiver on ne peut y faire du feu. En toute saison, il y règne un froid humide et pénétrant qui chasse les visiteurs, surtout dans cette station hivernale où l’on ne va pas précisément dans l’intention de