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eût couru le risque de demeurer toute sa vie obscur. Le premier commandement qui lui fut donné le révéla. J’ai l’intime confiance que, parmi les officiers qui passent aujourd’hui inaperçus, il en est plus d’un sur lequel on pourrait compter pour soutenir, en cas de guerre sérieuse, l’honneur de nos armes. Je prie seulement le ciel de ne jamais mettre le courage de nos héros inconnus à l’épreuve, si ce courage devait s’exercer contre un peuple qui n’aura pas de sitôt la fantaisie de nous réclamer les provinces que, dans nos jours de grandeur, nos rois lui ont reprises.

« Toute guerre européenne, disait-on, il y a quelques années, est une guerre civile. » La chose est encore vraie en ce qui concerne la France et l’Angleterre. Je crois donc qu’il peut m’être permis de raisonner en dehors de l’hypothèse invraisemblable d’un pareil conflit. La mer est à nous, puisque l’Angleterre n’a aucun intérêt à y entraver notre action.

Nous serions aveugles si nous ne discernions pas, après tous les exemples que l’antiquité nous met sous les yeux, le parti qu’une nation alerte et guerrière doit tirer, un jour ou l’autre, de cette possession. Quelque grands que soient jamais les dangers qui nous menacent, n’allons pas nous imaginer que la marine n’est qu’un luxe, qu’il est maint autre boulevard à restaurer avant celui-là. Ce serait une fatale erreur. La marine n’est un luxe que pour les états qui ne savent pas s’en servir. J’envelopperais ma pensée de bien autres voiles si je ne gardais au fond du cœur l’espérance que tant de précautions demeureront superflues ; je l’expose au grand jour parce que j’ai la conviction qu’en dépit des nuages qui sans cesse s’accumulent, les choses finiront par tourner beaucoup mieux qu’on n’aurait lieu peut-être aujourd’hui de le craindre. Quand le monde mettra bas les armes, je serai le premier à licencier ma flottille. En attendant cet heureux moment, je chante avec Pindare : Hydôr mén ariston. Il n’y a rien de meilleur que l’eau ; c’est sur l’eau qu’il faut nous défendre.

On m’a fait l’honneur de m’écrire d’un pays étranger que j’ai tout lieu de croire éminemment sympathique au nôtre, pour me demander si je considérais comme indispensable de confier le département de la marine à un ministre choisi dans le corps même des officiers de vaisseau. Je ne mets assurément pas en doute que M. Thiers M. Rouher, M. de Cavour ou M. de Bismarck n’eussent pu être d’excellens ministres de la marine. Portée à ce degré, la puissance de travail s’applique à tout ; il y aurait d’ailleurs un immense avantage à confier la direction de la flotte à celui qui dispose en maître des finances et de la politique. Ce fut là ce qui fit la force de Colbert, presque autant que son merveilleux génie ; mais, en dehors de ces grandes supériorités, je pense que nous avons un sérieux intérêt