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analogies ne lui suffisent pas. Elle prétend qu’on lui montre la raison des faits, et c’est là ce qui s’appelle proprement expliquer. M. Spencer déroule devant nous un tableau fort spécieux de l’évolution sociale dans son ensemble et dans ses détails, mais jusqu’ici les explications font défaut. À tout le moins devrait-il démontrer le principe même de toutes ces analogies, c’est à savoir que la naissance, le développement, le déclin et la dissolution des sociétés résultent de lois fatales, inéluctables, au même degré et au même titre que celles qui font passer les individus vivans par la même succession de métamorphoses. Mais cette démonstration, il ne l’a pas fournie et ne pouvait la fournir, s’il est vrai que la liberté existe, qu’elle est un l’acteur important de l’histoire, qu’elle peut arrêter ou hâter le progrès des peuples, précipiter leur ruine ou les régénérer au seuil même de la mort.

Les trois grands systèmes : alimentaire ou nutritif, distributeur et régulateur, se retrouvent nécessairement dans tout organisme social ; mais ils peuvent exister en proportions fort différentes, et l’un d’eux peut prendre sur les autres une prépondérance marquée. De là des types divers de société. M. Spencer en distingue deux principaux : le type militaire et le type industriel. Dans celui-ci, c’est le système alimentaire qui domine ; c’est le système régulateur dans celui-là.

Il est des sociétés dont toutes les énergies sont entretenues et développées en vue de l’attaque et de la défense contre les sociétés environnantes. L’armée est alors la nation mobilisée, et la nation n’est que l’armée au repos. Le trait essentiel de ce type, c’est une vigoureuse concentration du pouvoir entre les mains d’un seul qui, dans l’origine, est à la fois général et souverain. Son autorité est absolue, despotique ; à la guerre, en effet, l’unité de commandement et l’obéissance passive des soldats sont les conditions principales du succès. L’organisation politique est calquée sur l’organisation militaire. Dans un tel type de société, le gouvernement spirituel offre les mêmes caractères que le gouvernement temporel. La religion y est militaire : elle prescrit la vengeance, elle inonde les autels du sang des captifs. Les dieux sont des conquérans : le fort, le destructeur, le vengeur, le dieu des batailles, le seigneur des armées, l’homme de guerre, voilà les noms sous lesquels on les invoque. L’organisation sacerdotale présente une forte unité ; souvent le chef politique et militaire est en même temps le chef religieux, et une rigoureuse subordination maintient à une place et dans des fonctions déterminées les différentes classes de prêtres. — La production industrielle et agricole est sévèrement réglementée ; le pouvoir public fixe le prix des marchandises, assigne à chacun la nature et la quantité de travail qu’il doit fournir, parfois même