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également à augmenter la cohésion de la société ; la stabilité politique est mieux assurée par l’hérédité du pouvoir de mâle en mâle, et, bien que le même avantage puisse se produire avec la polygamie, on n’a plus ici à craindre les compétitions des frères nés de mères différentes. Le culte des ancêtres se développe, tout ce qui tend à favoriser la fixité des dynasties des anciens chefs tend à établir des dynasties permanentes de divinités, et le lien social se trouve ainsi resserré de toute la force de la sanction religieuse.

La monogamie est également le régime qui convient le mieux à l’intérêt des générations nouvelles, au moins dans les sociétés qui sont déjà sorties de la condition primitive. L’homme n’étant plus uniquement absorbé par la guerre tourne déjà son activité vers l’industrie, et prend sa part du labeur écrasant qui, jusqu’alors, avait pesé sur la femme. Celle-ci peut ainsi consacrer plus de soins à sa famille, en même temps que l’affection paternelle, concentrée sur un plus petit nombre d’enfans, les entoure d’une plus vive sollicitude. Moindre est donc le tribut que paient à la mort les premières années de la vie. — Mais les parens eux-mêmes y trouvent un avantage à la fois physique et moral ; la monogamie seule rend possible le véritable amour conjugal, et ce sentiment fait naître mille plaisirs inconnus qui ennoblissent et charment l’existence ; l’amour est à peu près l’unique thème que développent la musique, la poésie, le drame, le roman : mère de cette passion, la monogamie l’est, par cela même, de nos jouissances esthétiques les plus délicates et les plus variées. Ajoutez que l’affection réciproque des époux, les soins que leur rendent les enfans en reconnaissance de ceux qu’ils ont reçus, contribuent à prolonger leur vieillesse et à diminuer pour eux les maux inévitables du déclin.

Toutes ces considérations sont d’une justesse parfaite ; mais n’est-on pas surpris de voir M. Spencer n’invoquer en faveur de la monogamie que des argumens tirés du plaisir ou de l’utilité ? La dignité de la femme, la chasteté, la noblesse morale, tous ces motifs supérieurs, il n’en est pas question. C’est que, pour rester fidèle à sa méthode, M. Spencer doit les ignorer. Le biologiste ne voit dans l’évolution humaine qu’un prolongement de l’évolution animale ; les formes diverses de la famille n’ont de valeur pour lui que dans la mesure où elles favorisent la propagation de l’espèce et le bien-être de l’individu.

Il semble, d’après ce qui précède, que la monogamie n’a commencé d’apparaître que dans les sociétés déjà parvenues à un certain degré de civilisation. Telle n’est pourtant pas la conclusion que M. Spencer croit pouvoir tirer de l’examen des faits. Il admet que Tous les types de relations domestiques ont existé primitivement, bien qu’à l’origine la promiscuité absolue et la polygamie aient été