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Par les barrières douanières, vous avez fermé la France, vous voudriez multiplier encore ces barrières dans l’intérieur du pays et rétablir les anciennes divisions territoriales des siècles précédens. On parle de l’oligarchie des chemins de fer, mais ne serait-ce pas plutôt l’oligarchie industrielle qui est en cause, oligarchie que les tarifs réduits viennent déranger dans sa tranquillité et son indolence? Du consommateur personne ne parle. Disons donc le mot : sous prétexte d’équité, la taxe unique n’est que la protection déguisée.

Si le concurrent est un étranger, la réduction de taxe est un crime de lèse-nation. Abordons franchement la difficulté et choisissons un exemple qui a eu le privilège de soulever dans le parlement un tolle général.

« La compagnie du Nord transporte à Paris pour le même prix, 7 fr. 40, la tonne de houille anglaise qui vient de Dunkerque (304 kilomètres), la tonne de houille belge qui vient de Quiévrain (262 kilomètres) et la tonne de houille indigène qui vient de Lens (210 kilomètres). Vous voyez qu’on donne environ 90 kilomètres d’avance à la houille anglaise et 52 kilomètres à la houille belge. »

Et des interruptions s’élèvent de tous côtés : — Mais ce n’est pas possible!.. Ce sont des tarifs antifrançais!..

Nous avions cru jusqu’à ce jour être assez bon patriote, et pourtant ces énormités ne nous choquent pas. Cela vient peut-être de ce que nous sommes désintéressé dans la question, peut-être aussi de ce que nous l’avons étudiée. Il est aisé de la faire comprendre.

Parlons d’abord des houilles belges. Quiévrain n’est qu’un point de passage, c’est le bureau de douane ; ce qui est intéressant, c’est Mons, bassin houiller qui approvisionne Paris en concurrence avec les houilles françaises. Ces houilles viennent à Paris, soit par bateau, soit par chemin de fer ; or, par bateau, il n’y a pas plus loin de Mons à Paris que de Lens à Paris et, par conséquent, en faisant payer le même prix, la compagnie du Nord n’a pas aggravé la situation des mines de Lens d’autant plus qu’aux 7 fr. 40, prélevés par le réseau français, il faut encore ajouter le prix de transport sur les rails belges. La compagnie du Nord ne devait pas s’attendre à ce qu’on lui reprochât ce tarif. Il faut donc rayer les malédictions relatives aux houilles belges[1].

  1. Nous ne voulons pas ennuyer le lecteur de rectifications de détail ; nous ne faisons pas de polémique. Il nous est pourtant impossible de ne pas faire remarquer que les chiffres cités à la chambre sont inexacts. Le transport de Quiévrain à Paris est taxé 8 fr. 30 et non 7 fr. 40 (page 25 du Livret Chaix.) Les houilles de Mons paient en outre 1 fr. 80 de la mine à Quiévrain. Le transport de Mons à Paris est donc de 10 fr, 10. Les prix de la batellerie sont de 6 fr. 50 à 7 fr. 50 de Mons à Paris, suivant la saison.