Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/811

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aussi Mme Necker se plaignait-elle parfois que Voltaire l’oubliât et que Mme du Deffand fût seule honorée de ses envois :


Vous m’avez fait éprouver, monsieur, lui écrivait-elle, tous les tourmens de la jalousie et j’avois besoin de vos nouvelles bontés pour n’être pas tout à fait malheureuse. Quand Mme du Deffand reçoit vos ouvrages, elle s’en vante et ne les donne jamais, car elle veut autant que possible nous ravir la lumière qu’elle n’a plus.


Malgré ces tourmens, Mme Necker voulut, peut-être pour être agréable à Voltaire, entrer en relations avec sa rivale, et, la présentation faite, elle écrivait à Ferney :


J’ai fait connoissance avec Mme du Deffand ; c’étoit votre correspondance et votre opinion qui excitoient ma curiosité. Mme du Deffand est encore très brillante ; elle supplée au sens qu’elle n’a plus par la vivacité de ses passions ; elle est heureuse, elle est gaye, car elle ne voit les choses que par vos yeux.


On sait ce qu’il faut penser de la gaîté de Mme du Deffand depuis qu’on connaît les lettres où ce pauvre cœur inassouvi épanchait les ardeurs et les amertumes de sa dernière passion. Aussi ce jugement sur son caractère ferait-il peu d’honneur à la sagacité de Mme Necker s’il fallait y voir autre chose qu’un compliment à l’adresse de Voltaire. C’est ainsi qu’elle lui écrivait encore à propos de vers qu’il avait adressés à Mme du Deffand et où il lui offrait plaisamment de l’épouser :


Les stances que vous adressez à votre bergère, Mme du Deffand, ont toute la fleur du printemps ; c’est chanter les malheurs de la vieillesse avec la voix du rossignol ; mais si vous me demandez mon avis, je vous avouerai que votre mariage avec Mme du Deffand ne me paroit pas assorti ; elle est aveugle et l’on sçait qu’Apollon est le dieu de la lumière. Cette dame cependant accepte la proposition avec transport. Ne la prenez pas au mot, je vous conjure. Il faut que vous soyez un être seul, sans rapports, comme sans exemple et sans modèle. Le seul nom de Mme Voltaire seroit une satyre, à moins que vous n’eussiez épousé Minerve, et encore l’accuseroit-on de trop de présomption.


Voici comment, de son côté. Mme du Deffand expliquait à Walpole le désir que les Necker avaient éprouvé de nouer connaissance avec elle :


Je ferai demain un souper où j’enverrai volontiers quelque autre à ma place ; c’est à Saint-Ouen, chez M. et Mme Necker : ils ont voulu me