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guère que Mme de Genlis dont la pruderie affectée s’étonne dans ses mémoires d’avoir rencontré ce ménage irrégulier en visite chez Mme Necker. Cependant Mme Necker, élevée dans un milieu si différent, devait parfois se sentir mal à l’aise avec ses relations nouvelles, et l’ardeur avec laquelle elle cultiva l’amitié de la duchesse de Lauzun montre bien quel attrait l’honnêteté avait pour elle. Peut-être s’étonnera-t-on qu’elle n’ait pas recherché davantage l’intimité de ces femmes (comme il y en avait plus qu’on ne croit au XVIIIe siècle), qui, fidèles à des vertus conservées comme un héritage de famille, ne prenaient du monde que les devoirs et non les plaisirs et vivaient dans leur intérieur d’une vie sévère et pieuse. Mais il faut penser que ces femmes-là n’étaient pas très soucieuses de nouer des relations nouvelles en dehors du cercle de leur parenté et de leurs amis naturels. Sans doute la conversation que dirigeait la maréchale de Luxembourg du haut de son fauteuil, ou Mme du Deffand du fond de son tonneau, était beaucoup moins faite pour les oreilles de Mme Necker, que les graves propos échangés entre la duchesse d’Ayen et ses charmantes filles dans la grande chambre à coucher toute tendue de damas cramoisi à franges d’or, que nous a si bien dépeinte l’auteur de la Vie de Mme de Montagu. Mais la grande porte de l’hôtel de Noailles ne s’ouvrait, pas aisément, tandis que la maréchale de Luxembourg, par facilité d’humeur, Mme du Deffand par curiosité d’esprit, faisaient bon accueil aux nouveaux visages. Il n’est donc pas surprenant que Mme Necker se soit liée d’abord avec les femmes qui l’attiraient et que celles dont la jeunesse n’avait pas été des plus régulières fussent aussi celles dont la maison se montrât le plus hospitalière. Je dois avouer cependant que le contraste entre la sévérité dont elle se piquait pour elle-même et l’indulgence dont, elle usait vis-à-vis des autres (n’est-ce pas cependant la meilleure règle ?) lui fût un jour parfois reproché, comme lui était reproché par ses amis de Genève le bon accueil qu’elle faisait aux philosophes, toute bonne chrétienne et protestante qu’elle fût demeurée. À la vérité, ce fut par une femme qui tenait de famille le goût de faire des leçons aux gens, par la marquise de la Ferté-Imbault, la fille de Mme Geoffrin. Sous tout autre rapport, il serait difficile de trouver deux personnes plus différentes que ne l’étaient la mère et la fille. Fort entichée d’aristocratie, depuis que son mariage avec un vieux gentilhomme l’avait élevée au rang de marquise, Mme de la Ferté-Imbault professait un souverain mépris pour la société que rassemblait sa mère. Autant Mme Geoffrin était avisée et prudente, autant Mme de la Ferté-Imbault était rude et inconsidérée dans ses propos. Par opposition au ton habituel de la conversation des gens de lettres et des philosophes dont Mme Geoffrin aimait à s’entourer, tout en tempérant la hardiesse de