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couronner la constance. Après la mort de son mari, Mme de Marchais devint en effet Mme d’Angeviller, et c’est sous ce nom que quelques personnes de notre temps l’ont encore connue pendant les premières années de la restauration. Mais depuis longtemps elle vivait avec M. d’Angeviller sur un pied d’intimité qui n’altérait point ses bons rapports avec son mari. La faveur dont M. d’Angeviller jouissait auprès de Mme de Marchais n’enlevait rien au respect extérieur dont il l’environnait ; tous les mémoires du temps sont d’accord pour dire qu’il n’en conservait pas moins auprès d’elle l’attitude d’un amant malheureux et timide. Il envoyait fréquemment à Mme de Marchais des corbeilles remplies des plus beaux fruits que produisaient les jardins royaux, dont il avait la surintendance, et comme Mme de Marchais partageait avec ses amis le contenu de ces corbeilles, ses largesses lui avaient, dans un temps où les surnoms étaient fort à la mode, fait donner celui de Pomone.

Soit que la candeur de Mme Necker continuât de se faire illusion sur la pureté des sentimens de Mme de Marchais pour M. d’Angeviller, soit que la situation acceptée par tout le monde eût fini par s’imposer à elle, Mme Necker semble avoir pris son parti de cette liaison à trois que lui imposait l’assiduité de M. d’Angeviller auprès de son amie. Dans les lettres qu’elle adressait à Pomone, il est aussi souvent question de lui que de M. de Marchais, et c’est souvent dans le même post-scriptum qu’elle demande de leurs nouvelles à tous deux. Mais quand Mme de Marchais est malade, c’est à M. d’Angeviller qu’elle s’adresse de préférence pour avoir des renseignemens sur l’état de son amie, et les réponses de M. d’Angeviller sont remplies de détails intimes qui devaient pleinement satisfaire le tendre intérêt de Mme Necker. Les deux noms de M. de Marchais et de M. d’Angeviller s’entre-croisent également dans les lettres de Mme de Marchais, et il est assez difficile de démêler lequel des deux tient le plus de place, sinon dans son cœur, du moins dans sa vie. Écrivant à Mme Necker du fond d’une terre où l’avaient appelée des affaires assez ennuyeuses, elle se loue des bons offices de M. d’Angeviller, qui l’aide à débrouiller des comptes arriérés, et aussitôt elle ajoute : « Voilà le voyage de Fontainebleau ; il faut que j’y aille pour le service de M. de Marchais. Je ne compte pas pouvoir partir avant le 2 ou le 3, ce qui me dérange fort. Mais il faut se soumettre aux affaires et commencer par faire ce que l’on doit. » Quelques lettres choisies en quelque sorte au hasard dans la volumineuse correspondance de Mme Necker et de Mme de Marchais, montreront au reste mieux que tout ce que je pourrais dire quel était le ton et le diapason de cette correspondance. Voici d’abord un échantillon du style de Mme de Marchais :