Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/837

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rattache comme document original n’est pas non plus contestable : c’est un fait reconnu pour tous les monumens d’une certaine époque. Personne ne s’est jamais avisé de restaurer le Parthénon, le temple de Philæ et les amphithéâtres de Stonehenge, et nous n’admettons pas que le passé de Venise intéresse à un moindre degré l’histoire que le passé de la Grèce, celui de l’Egypte ou de l’Angleterre; ou que cette source d’étude doive s’épuiser pour tous ceux qui aiment la liberté ou le progrès.

« Nous nous permettrons encore de faire observer à votre Excellence que la reconstruction de la façade serait la destruction de l’intérêt historique et artistique des précieuses mosaïques qui ornent le portique: et si nous disons destruction, c’est que, malgré le soin évident et la mesure apportés à la restauration de quelques-unes des mosaïques de l’intérieur, leur intérêt et leur beauté n’existent plus désormais.

« De toute façon, nous avons cette conviction, que toute tentative de reconstruction nu de restauration de la façade de Saint-Marc sera pour l’art un irréparable désastre.

« Quant à la solidité de la construction, nous ne sommes pas en mesure de donner une opinion autorisée, mais nous avons la confiance que, si le monument est menacé, la science offre des moyens de remédier à cet état de choses sans enlever une seule pierre, ni altérer le moins du monde le revêtement. Si au contraire ce revêtement est entamé, c’en est fait de tout ce qui constitue son prix, et on sera impuissant à lui rendre sa valeur perdue.

« Telles sont nos fermes convictions à ce sujet; elles nous font une loi de demander avec insistance votre intervention pour obtenir un délai et prendre le temps de la réflexion avant l’exécution cette requête, nous en sommes certains, trouvera un écho dans toute l’Europe et l’Amérique, et chez tous les peuples cultivés.

« Pour conclure, nous prions votre Excellence de nous excuser si nous avons épousé cette cause avec trop de chaleur; nous sommes poussés par la reconnaissance que nous devons tous à l’Italie, notre guide dans l’étude des arts, par notre sympathie pour son passé et son présent, sympathie universelle commune à tous les peuples civilisés, mais qu’aucun d’eux ne ressent à un si haut degré que le peuple anglais. »

Le document, on le voit, a son intérêt; il est à discuter, et peut-être a-t-on glissé trop rapidement sur le point capital, sur celui qui domine tout : l’état actuel du monument; mais enfin il y a là une chaleur et un enthousiasme qui ont leur prix venant d’une nation à laquelle on aurait autrefois voulu contester le génie des arts, et, en somme, le manifeste honore à la fois l’Angleterre et l’Italie. Nous nous demandons seulement si, chez nous, on ne se