Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/839

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’appui; et on verra qu’ici des conditions spéciales ont entraîné un système de construction tout particulier.

La basilique de Saint-Marc n’a pas, à vrai dire, de fondations; ce n’est pas que le terrain soit mouvant et n’offre pas de solidité, mais il y a là une élasticité dont il faut tenir compte. Le niveau de la lagune est à peu de chose près celui du sol de la place, la marée haute, chaque jour, a son action naturelle; et, pendant l’hiver, la colma des marées extraordinaires, en faisant parfois de la place Saint-Marc un lac où les gondoles pourraient glisser sans danger, soumet à une singulière épreuve, depuis bientôt neuf cents ans, le sol qui porte un des plus curieux monumens élevés par la main des hommes. Le mode de fondation n’est pas le même pour la basilique que pour une partie du Palais ducal, celle qui présente sa façade du côté du pont des Soupirs. Depuis les premières grandes constructions des doges Partecipazio, Orseolo et Domenico Contarini, et jusqu’aux embellissemens décrétés par le grand conseil en 1422, c’est-à-dire pendant cinq siècles, on a adopté à Venise pour les monumens un système de grilles superposées formées d’énormes poutres assemblées. Plus tard on modifia le procédé; on battait d’abord les pilotis et, sur ces points d’appui, on fixait des poutres en les chevauchant, en comblant les intervalles où l’eau séjournait comme dans des cuves. Toutes les forêts de l’Istrie, toutes celles de la Dalmatie et les bois du Frioul sont là, sous le sol de Venise, et si les montagnes de ces pays présentent aux voyageurs des cimes dénudées, c’est que pendant plus de dix siècles Venise a demandé à ses colonies h-s moyens de consolider son sol. Le temps fait son œuvre, les pilotis et les grilles ne résistent plus à l’action des eaux stagnantes et des marées; peu à peu ce sol factice devient plus perméable, son niveau baisse et, le tassement ne se produisant pas d’une façon uniforme parce que tel ou tel assemblage résiste mieux, le monument se trouve compromis.

Voilà pour le sol sur lequel on s’appuie; mais une autre condition très importante résulte fatalement de cette condition primitive : c’est le système de construction de la masse de l’édifice. S’il n’est pas exact de dire que le monument est byzantin, il faut cependant constater que, suivant le système des constructeurs orientaux, les architectes primitifs de Saint-Marc n’ont pas, à proprement parler, fait de murailles à leur édifice, mais simplement des cloisons ou clôtures afin d’éviter les tassemens sur de grandes surfaces. Adoptant pour toutes les parties qui ferment l’aire, un système d’arcatures, d’archivoltes, de coupoles, de voûtes et de niches; ils ont accumulé et reporté tout le poids supérieur de la construction et toutes les poussées des arcs de clôture sur des piliers massifs