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a été découverte, mais ce n’est pas assez : Caneva, Sacile, Carrare, Vérone et les carrières des environs de Florence, malgré ces noms superbes qu’on donne à leurs marbres, le membro bianco translucido, le bianco alabastrino, le pagliarino venato in giallo d’oro, la fior di Venere, ne sauraient remplacer ces pavonazetti, brillamment mouchetés comme la queue d’un paon, que nos devanciers empruntaient à l’Orient. Si on est dans la nécessité absolue de remplacer partie du revêtement, c’en est fait de la patine, et si on ne le remplace point, c’en est fait du monument. Il est donc certain qu’il y a souvent incompatibilité entre les nécessités pratiques et la conservation de l’effet. J’en veux donner un exemple pris dans des travaux en cours d’exécution ; il frappera, je l’espère, ceux des lecteurs qui connaissent les divers aspects de Venise et peuvent être touchés par les effets admirables des mille tableaux qui se composent devant leurs yeux, quand ils glissent en gondoles sur la lagune, en revenant du Lido.

À l’entrée du grand canal, au-dessus de la douane de Mer surmontée de la statue de la Fortune qui tourne au vent sur sa boule d’or, se dresse la Salute : ses coupoles bulbeuses, d’un gris argenté, se détachent sur le ciel bleu coupé de légers nuages blancs ; à gauche, on a le port et les Zattere, où les grandes voiles rougeâtres des bateaux de Dalmatie sèchent aux rayons du soleil ; à droite on a le grand canal aux eaux sombres, où se reflète la ligne des palais. Si, par larges masses, la vive lumière éclaire ce tableau en en faisant sentir les plans successifs, il est d’un effet incomparable. L’effet dominant dans cet ensemble, et comme ligne et comme couleur, personne ne s’y méprendra, est produit par ces doubles coupoles, solides, réelles, pesantes, butées par les lourdes consoles en volute, mais qui semblent pourtant, grâce à la coloration délicate dont deux siècles ont revêtu leurs calottes de plomb, flotter suspendues dans l’éther, comme si elles étaient frottées par une main légère d’un simple glacis d’argent sur un ciel d’un incomparable éclat. C’est l’atmosphère de Venise, l’air ambiant de la lagune, dont quelques grands artistes ont pénétré le secret ; et si le Véronèse, si Canaletto, si Guardi, si Tiepolo sont des maîtres, c’est qu’ils ont su fixer cette harmonie composée des tons les plus éclatans, et faire flotter leurs grandes figures allégoriques dans cette atmosphère vaporeuse et blonde

Or, ces temps passés, on avait constaté que la couverture des coupoles, rongée peu à peu par le temps, et qui ne devait cette teinte délicate qu’à l’action délétère de l’humidité et du soleil, ne garantissait plus l’intérieur du temple et menaçait sa solidité. On a dû poser des échafaudages et remplacer les feuilles de plomb : tout l’effet du tableau s’est alors évanoui. La coupole aux tons d’opale,