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respondance littéraire que Grimm doit le regain de popularité dont il jouit de notre temps. L’attention des curieux a été tout récemment appelée de nouveau sur lui, par la publication simultanée d’une édition complète de sa Correspondance et par celle (trop peu répandue en France) des lettres que lui adressait Catherine II. Aussi le moment serait-il bien choisi pour une étude qui viendrait fixer les traits de cette physionomie encore indécise, et j’espère que cette étude paraîtra quelque jour ici même. Je n’ai pas à rechercher ce qu’à y regarder de près, deviendrait la réputation de droiture, de dignité et, s’il est permis d’employer en parlant d’un homme du XVIIIe siècle une expression aussi moderne, de « comme il faut, » que Grimm avait su de son vivant s’acquérir avec beaucoup d’habileté. Il faut voir comme dans ses lettres Catherine traite cette dignité et comme elle lave la tête à celui qu’elle appelle, tantôt Monsieur le philosophe, tantôt Monsieur le baron, mais plus souvent et avec plus de raison, Monsieur le souffre-douleur, ou Son excellence souffre-douleurienne, et qui, dit-elle, n’est jamais plus heureux « que quand il est auprès, proche, à côté, par devant ou par derrière quelque altesse d’Allemagne. » Cette question serait tout à fait hors de mon sujet, car dans sa relation avec Mme Necker, Grimm ne va se montrer à nous que sous son aspect habituel d’homme de lettres, discret, spirituel et courtois.

Grimm paraît avoir apporté d’abord une certaine réserve dans cette relation. Probablement il se plaisait trop dans l’intimité de Mme d’Épinay pour se laisser volontiers attirer ailleurs, et il n’était pas toujours facile de l’avoir à souper, à en juger par ce petit billet assez agréablement tourné, que Mme Necker lui écrivait au début de leur connaissance :


M. Tronchin soupe chez moi samedi. M. Grimm ne soupe guère, et le lui proposer, c’est assurément faire une indiscrétion. Cependant je me hasarde à la commettre. Peut-être ma lettre vous trouvera dans un moment qui me sera favorable, car, quoi qu’on en dise, je ne vous en croirai pas incapable, tant que je sentirai dans mon cœur tant de disposition à vous pardonner. Venez donc, monsieur, si vous êtes à Paris et si ma proposition ne vous gêne pas trop. Vous me ferez un double plaisir. J’ai annoncé à M. Necker avec tous les ménagements convenables les arrangements que vous avez pris pour vos billets ; mais je n’ai pas vu sur sa phisionomie ce bouleversement auquel je m’attendois, et il faut vous avouer que, malgré tous vos desseins de lui nuire, je crains que vos convenances ne soyent toujours les siennes. Adieu, monsieur, vous connoissez toute mon amitié et vous savez mieux que moi combien elle est fondée.