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Portone, détonne dans cet ensemble. Disons en passant que de tous les mosaïstes de tous les temps, ceux du XIe et du XIIe siècle sont les plus habiles au point de vue technique, et ceux qui semblent, avec les anciens, avoir le mieux saisi les conditions spéciales à leur art, c’est-à-dire la subordination de la forme à la matière employée, principe fondamental de tout art appliqué à l’industrie, que les dessinateurs modernes n’ont pas assez présent à l’esprit.

Voilà donc le fait historique; les générations se succèdent, chacune laisse sa trace : aux mosaïstes naïfs, élèves des Grecs, succèdent les peintres touchans du quattrocento, puis viennent les artistes nobles et hardis du XVIe siècle; à leur tour, les peintres galans de la décadence ne se font point scrupule d’imprimer leur cachet sur un monument d’un caractère byzantin, et Lattanzio Querena lui-même, homme de bonne volonté, qui semblait ignorer qu’un carton traduit en mosaïque exige des conditions spéciales pour faire corps avec l’architecture, veut passer à son tour à la postérité. N’avons-nous pas dit plus haut qu’il avait fallu, de la part de l’ingénieur Saccardo, une lutte très vive pour empêcher de substituer à toutes les œuvres du XIIe siècle dans la chapelle Zen, les cartons exécutés par un peintre autrichien? C’est qu’il y a au fond du cœur de l’homme un instinct secret et un violent désir de laisser ici-bas une trace de son passage, et de léguer son nom aux générations futures. Il faut évidemment nous contenter de ce qui nous reste, mais combien l’impression serait plus grande encore si, restaurées respectueusement et conservées avec des soins jaloux par des générations soucieuses du passé, nous avions devant les yeux ces anciennes compositions dont nous connaissons et le ton et la forme par le tableau de Bellini! Les procurateurs de Saint-Marc n’ont donc jamais eu l’idée d’imposer aux architectes et aux artistes la restauration ou la substitution de copies identiques aux originaux. Mais le temps marche, les idées progressent, et ce sera l’honneur de notre époque d’avoir fait une loi à ceux qui ont la charge des monumens publics de toujours respecter les dispositions prises par les ancêtres, dispositions où se reflètent et l’âme et l’esprit d’un temps, et de ne jamais déchirer un seul feuillet de ces livres de pierre où on lit l’histoire des époques éteintes.

Mais du moins, sous le rapport de la forme architecturale, il ne semble pas, depuis la grande transformation du XIVe siècle, qu’on ait rien changé à l’ensemble. Le XVe, le XVIe et le XVIIe n’ont fait que conserver et consolider. Nous sommes donc en face d’un monument à peu près intact. Je dis à peu près, il faut spécifier, car là est toute la question. Cinq travées de deux arcs superposés, séparées et butées par le système de colonnes portant les pinacoli,