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refaire en entier, alors même qu’on apportait à ce travail la plus parfaite conscience.

Les restaurations qu’on a fait subir au pavimento du sol de la basilique ont aussi appelé l’attention de ceux qui ont protesté soit à Venise même, soit en Angleterre, et on a accusé les Italiens d’avoir remplacé par une surface plane le pavement mosaïque en forme de vagues.

On ne saurait admettre un instant que les ondulations qui donnent au pavement de Saint-Marc un caractère si singulier et si poétique, soient le résultat d’une pensée des architectes primitifs. Ce mouvement ondulatoire est le résultat évident de la permanence des eaux sous le sol et le résultat du mouvement des grandes marées. Tout le monde sait qu’il existe sous le maître autel de Saint-Marc, une crypte souterraine (sotto confessione) du plus haut intérêt archéologique, dont le sol se trouve de beaucoup au-dessous du niveau moyen de la lagune : on l’abandonna dès 1569 à cause de l’irruption des eaux ; on a tenté souvent de combattre ces infiltrations, et, en 1811, on y découvrit le corps de saint Marc, caché, depuis 1094, dans le massif qui supporte le maître-autel de la basilique. On l’a refermée depuis cette époque, mais vers 1865, grâce à l’ingéniosité de M. Milesi, qui employa le ciment de Bergame, et qui opérait alors aux frais privés de M. Torrelli, préfet de Venise, on parvint à rendre au culte ce précieux sanctuaire des premiers siècles chrétiens. Nous étions alors à Venise, nous suivions avec attention ces travaux, et il nous fut facile de constater, à cette profondeur, les mêmes ondulations qui se produisaient sur le sol de la basilique.

Ce pavage de Saint-Marc n’est pas le résultat d’une conception une, et il participe de ce système d’après coup qui distingue l’édifice et lui donne son singulier caractère. Il n’y a là ni parti-pris d’ensemble, ni dessin préconçu, ni unité de matériaux, ni respect des axes et des lignes du plan. Il est même probable qu’on a employé et approprié les pavemens précieux de nombre d’anciens sanctuaires détruits lors des premiers embellissemens de Venise. Il en résulte une grande variété de dessins et de matériaux, et une impossibilité presque absolue de restaurer, si on ne suit pas naïvement, et pas à pas, jusque dans ses incohérences le dessin primitif. Mais c’est encore le lieu de répéter qu’il y a là une question de principe. Oui ou non, devait-on restaurer? Si on le faisait, comme on allait reprendre à une grande profondeur les fondations mêmes du pavement en lui faisant un lit de briques pour mieux l’asseoir et l’assurer contre ces tassemens produits par la permanence des eaux, naturellement les ondulations disparaissaient, et