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on avait désormais un plan horizontal. Reste la question d’exactitude du dessin, la nature des matériaux employés et aussi la constatation de l’état plus ou moins défectueux de la mosaïque avant les travaux de restauration. Nous avons, pour porter un jugement sur ce point, tous les élémens nécessaires, en comparant la travée de droite, qui n’a pas encore été reprise et se présente à nous telle que le temps l’a léguée, avec ces restaurations brutales, qui allaient au plus pressé. La vérité est que cette mosaïque n’existe vraiment plus ; le sol manquait sous les pieds; on a remplacé par de grands carreaux de marbre, de couleurs et de formes diverses, les riches matériaux anciens dont quelques parties désagrégées s’émiettent encore chaque jour; et les voyageurs, plus enthousiastes que scrupuleux, trouvent là des presse-papier dont l’origine est plus poétique que leur possession n’est légitime.

Si, en regard de cette travée méridionale, on examine la travée nord qui a été refaite, on voit qu’on s’est efforcé de reproduire les cartons anciens; peut-être même a-t-on consciencieusement procédé en employant des calques des mosaïques primitives : mais comment faire comprendre à des entrepreneurs, qui exécutent un traité où on compte par mètres superficiels, que cette belle régularité, cette précision, cette netteté mécanique d’exécution toute industrielle et tout impersonnelle, sont justement la négation du caractère de la mosaïque primitive? C’est là qu’on serait tenté de dire avec le manifeste anglais : « Si une telle restauration était nécessaire, elle serait impossible. »

La personnalité du mosaïste primitif se révèle toujours dans son œuvre par un tremblement de la main qui est comme le caractère d’une écriture ou d’un dessin original; il y a de la liberté, de l’aisance, une libre allure : les grandes lignes sont données, le plan général est tracé, et l’ouvrier peut se mouvoir à l’aise dans l’espace qu’on lui a déterminé; comme dans la Commedia dell’ arte, l’improvisateur peut se livrer à la fantaisie tout en respectant le dessin général du scénario. Comparez deux travées entre elles, ou, mieux encore, deux cartons anciens repliés sur l’axe et qui se font pendant, vous serez frappés de voir que si le contour général est le même, chacun des détails qui le composent révèle une main et un tempérament différens. Ces figures géométriques, ces combinaisons rectilignes, ces fleurs, ces damiers, ces oiseaux, ces épines de poissons, ces fruits, ces vagues, tous ces élémens enfin qui composaient la mosaïque primitive, avaient de l’imprévu, une certaine irrégularité, une naïveté qui révélaient la main de l’ouvrier simple et désintéressé des premiers siècles chrétiens et du moyen âge ; les mêmes élémens mis en œuvre par le proto-maestro d’aujourd’hui qui a combiné