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ornées d’un revêtement de stuc; des rinceaux, des arabesques courent le long des parois et entourent des niches creusées dans l’épaisseur du mur. Ce sont de véritables columbaria byzantins.

A Anemour, nous renvoyons notre zaptié pour prendre un guide du pays, plus utile, et connaissant mieux les routes. Le zaptié d’escorte est d’un faible secours dans les pays de montagnes; tous ceux que nous avons emmenés jusqu’ici, Osman Ali, ou Méhémet, mettaient une sorte de point d’honneur à ne rien faire. Dans les pas difficiles, le zaptié fume indolemment sa cigarette sans se déranger; à la halte, il ne dit mot. Vêtu d’un uniforme en lambeaux, à peine armé le plus souvent, il représente l’autorité par sa seule présence; c’est son rôle, et rien ne pourrait l’en faire sortir. Musulman d’ailleurs assez peu rigide, il ne se fait pas faute de violer à l’occasion la loi du Prophète. En nous quittant, Méhémet vient à nous, un grand verre de raki à la main, et après l’avoir bu : «Le Christ est vainqueur! » nous dit-il d’un air mélancolique. Voulait-il dire à sa façon que les lois de l’Islam ne sont plus strictement observées? À ce compte, bien des pachas font « triompher le Christ » plusieurs fois par jour.

Deux jours de marche séparent Anemour de Khilindri. Nous pouvons voir longtemps la silhouette de l’île de Chypre, dont le bleu pâle se confond presque avec celui du ciel. A quelques heures d’Anemour, nous laissons sur la droite les belles ruines d’un château turc, de l’époque seldjoukide. A l’intérieur, c’est une véritable petite ville; rien n’y manque, ni la mosquée, ni le konak, ni le harem et ses vastes dépendances. Les murs épais et crénelés, les portes disposées obliquement, pour éviter toute surprise et mettre l’assaillant à découvert, montrent un savant appareil de défense. Ces ruines éveillent l’idée de la vie féodale telle que l’avait faite le moyen âge ottoman, et dont il ne reste plus trace dans la Turquie contemporaine. L’esprit militaire a disparu; les beys ne sont plus que de grands propriétaires campagnards, vivant du produit de leurs terres et des revenus de leurs troupeaux; on dit d’un bey, pour évaluer sa fortune, qu’il a cent ou deux cents chameaux.

Khilindri est un petit port marchand, assez fréquenté dans la belle saison. Aussi la ville s’agrandit, et des maisons neuves s’élèvent autour de la baie. C’est à cette activité qu’il faut attribuer la disparition rapide des ruines de l’antique Celenderis, à laquelle la ville moderne a succédé. En 1853, M. Victor Langlois y avait vu un aqueduc, un château ruiné, et de nombreux édifices funéraires[1]. On les chercherait vainement aujourd’hui. Les maçons de

  1. Voyage dans la Cilicie et dans les montagnes du Taurus, par Victor Langlois, 1852-1853, dans le Tour du Monde.