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et ses tours crénelées. De la ville antique, Claudiopolis, ancienne colonie de l’empereur Claude, il reste quelques traces; les plus importantes sont les débris d’un grand portique, dont le plan est encore fort visible, grâce à des arasemens de murs et à des fûts de colonnes restés en place. Des pierres antiques ont servi à construire une fontaine, et quelques débris de l’époque hellénique sont engagés dans la maçonnerie. C’est là, sous l’ombre d’un énorme figuier dont le tronc s’allonge horizontalement comme un serpent, que les habitans de Mout viennent passer les heures chaudes de la journée. Une dizaine de Turcs sont accroupis autour de la vasque; aux momens prescrits, ils font leurs ablutions et leurs prières, puis reprennent leur attitude immobile. Les heures s’écoulent ainsi pour eux dans une sorte de torpeur; leurs yeux vagues regardent dans le vide, avec une expression d’hébétement. C’est une parfaite image de l’Orient immobile, où rien ne change, où le temps n’a aucune valeur, et où les mots d’activité et d’énergie paraissent n’avoir pas de sens.

La vie semble renaître à mesure qu’on s’approche de Sélefkeh. A quatre heures de la ville, on traverse l’Ermének-Sou dans un bac, et bientôt on quitte les gorges sauvages du Taurus pour descendre dans la plaine de Sélefkeh. La route s’anime; des cavaliers à fière tournure, des femmes turques chaussées de lourdes bottes jaunes, cheminant à pied derrière les montures de leurs maris, croisent notre caravane; des plus parasols, des arbousiers chargés de fruits, des caroubiers, couvrent les dernières pentes du Taurus, qui s’abaissent graduellement; ces coteaux ont un aspect riant, grâce à la végétation qui les égaie. Des âniers passent, conduisant leurs ânes tout couverts de branches d’arbousiers avec leurs fruits, rappelant ainsi le détail noté par Pierre Belon : « Aussi trouvions-nous de l’arbrisseau d’Andrachne naissant par les cousteaux, dont chacun en cueillit plusieurs rameaux avec le fruit pour porter avec soi, et le manger par chemins, car il estoit meur pour lors. Il pend par trochets, de la grosseur et couleur des framboises, et mol comme un grain d’un arbousier. »

Les maisons nouvelles qui s’élèvent chaque jour à Sélefkeh et le beau pont construit sur l’Ermének-Sou par des ingénieurs grecs ont beaucoup contribué à la disparition des ruines de l’ancienne Séleucie. Il ne reste plus que de faibles traces du théâtre vu par M. Victor Langlois : une dépression du terrain, en forme d’hémi-cycle, indique seule l’emplacement qu’il occupait. Mais si l’on cherche vainement les débris de la ville gréco-romaine, les ruines byzantines abondent. C’est d’abord l’imposant château fort, construit sur une colline, d’où il domine la ville, et qui apparaît de bien loin