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profonde, véritable sanctuaire de divinités mystérieuses, où l’on entendait des bruits étranges semblables à des sous de cymbales. Il est probable que cet autre « qui frappe les esprits de terreur au premier aspect, » n’est pas autre que la grotte pleine de stalactites visitée par M. V. Langlois et par P. de Tchihatchef[1], dans le Val des Démons (Cheïtan-lik). Une église byzantine transformée en mosquée occupe l’entrée de la grotte, qui, au dire de Tchihatchef, n’a rien de comparable à celle d’Antiparos, et à d’autres moins renommées. Que la grotte visitée par les voyageurs français et russe soit ou non l’antre corycien, il est étrange qu’une autre grotte non moins curieuse, s’ouvrant aussi dans la vallée de Cheïtan-lik, ait échappé à leur attention. Lorsqu’on est arrivé sur les crêtes qui bordent la vallée, à l’endroit où elle fait un coude dans la direction de la mer, on aperçoit en face de soi, à une grande hauteur, une série de bas-reliefs sculptés dans le roc, de chaque côté d’une grotte peu profonde. On y accède difficilement, à travers les ronces et les roches éparses qui hérissent le revers de la vallée ; à mi-hauteur environ, il semble que le roc ait été taillé pour faciliter cette montée pénible. On arrive enfin à une grotte naturelle, travaillée et arrondie à coups de pic, qui figure une sorte d’hémicycle à plafond très bas. Des gradins taillés à côté d’un autel, des bas-reliefs funéraires qui couvrent le rocher à l’extérieur, montrent clairement qu’il y avait là une sorte de sanctuaire. On s’y rendait comme en pèlerinage, et c’était sans doute une tradition pieuse de consacrer aux morts un bas-relief funèbre sur le rocher de la montagne sainte.

Départ de Korykos à la nuit, pour Lamas et Pompéiopolis. Nous dépassons au petit jour l’immense abside ruinée d’une église byzantine, et le soleil levant nous montre ce qui reste de l’antique Élaeusa-Sébasté. La route est littéralement bordée d’édicules, de mausolées et de chapelles : c’est une véritable voie des tombeaux où les monumens se suivent aussi pressés que sur les côtés de la voie Appienne. Mais, au lieu de s’allonger à l’infini, droite et directe, comme dans la campagne de Rome, la route suit les sinuosités du rivage et ondule le long de la mer. Pour n’avoir pas cette grandeur désolée que prête à la voie Appienne la ligne continue de l’horizon, la côte d’Élaeusa, où viennent mourir les pentes bleues du Taurus, n’en offre pas moins un des derniers aspects saisissans du pays montagneux que l’on va bientôt quitter. On laisse en effet sur la gauche des aqueducs ruinés, des canaux pour la distribution des eaux,

  1. P. v. Tschihatscheff’s Reisen in Kleinasien und Armenien ; Gotha, Justus Perthes, 1867, dans les Mittheilungen de Peterman.