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de cette même tribu coupent vos communications et vous forcent à recommencer ce que vous croyiez fini. Dans cette lutte sans fin, plusieurs armées persanes ont été anéanties; la Perse s’est épuisée vainement; rien n’a pu détruire le mal.

Pour atteindre le mal, il n’y a qu’un seul moyen, c’est d’aller à Merv. Merv, qui a été la capitale du Khorassan, est aujourd’hui en ruines. Les tribus Tekkés, les plus redoutables parmi les Turcomans, en ont fait le centre de leur brigandage ; appuyées sur cette oasis fertile, elles poussent leurs déprédations du côté de Khorassan et d’Hérat aussi loin qu’elles le peuvent. Elles sont sûres de trouver à Merv un refuge inattaquable.

Merv nous appartient : nous l’avons occupée souvent, mais dans les conditions actuelles, nous y maintenir est au-dessus de nos forces. Un impraticable désert nous en sépare, et le maintien de nos communications, dans ce désert, au milieu de ces hordes, offre pour nous des difficultés invincibles.

Pour aller à Merv d’une manière sûre et s’y maintenir dans des conditions stables, il n’y a pour nous qu’un seul moyen, c’est de posséder Hérat, Hérat nous conduit à Merv à travers un pays fertile, offrant toutes les facilités au passage d’une armée. Pour dominer Merv, nous sommes donc obligés de posséder Hérat. Voilà pour nous toute la question d’Hérat. Pour nous, Hérat c’est l’occupation de Merv; c’est la soumission des Turcomans; c’est la délivrance du Khorassan; c’est pour la Perse le commencement d’une vie possible.

Et maintenant qu’on se figure quels durent être la colère et le désespoir de la Perse, lorsque l’Angleterre força Mohammed-Schah de lever le siège d’Hérat !

L’Angleterre n’avait aucun droit, aucune raison pour exiger de nous un tel sacrifice; aussi la Perse ne s’y est-elle résignée qu’après les plus vives protestations. Elle n’a laissé passer aucune occasion de revendiquer hautement ses droits sur Hérat. Elle a même assiégé et conquis une seconde fois cette ville. Dans plusieurs autres circonstances, les autorités d’Hérat, en l’absence même de toute intervention persane, ont proclamé spontanément la souveraineté de la Perse ! Mais tout a été inutile. L’Angleterre nous a déclaré une seconde fois la guerre et nous a forcés de nouveau d’abandonner Hérat. Cette fois-ci le déchirement a été profond. La perte de Hérat a laissé au cœur de la Perse une blessure que rien n’a pu faire disparaître. Aussi dans toutes les classes de la société, dans n’importe quelle partie de la Perse, vous entendrez ce gémissement :

« L’Angleterre est une amie qui nous a accablés de maux. Elle a détruit notre Khorassan; elle a condamné la Perse à une ruine inévitable. Elle est entrée chez nous, en nous assurant qu’elle venait soutenir notre indépendance, et elle nous enlève Hérat sans laquelle il nous est impossible