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savait plus produire par les moyens légitimes, on en a demandé l’apparence à la splendeur ou à l’originalité du décor. Et quand un peu plus tard Talma compléta la réforme, c’est que, guidé par son instinct d’artiste, il sentit admirablement que, pour remplir les rôles vides et creux que lui donnaient à jouer les derniers imitateurs de la tragédie classique, les personnages exsangues de Marie-Joseph Chénier et de M. de Jouy, ce n’était pas trop d’appeler à son aide tous les moyens qui pouvaient faire illusion et masquer cette profondeur de néant.

Mais ni Corneille, ni Racine justement ne peuvent être traités de la sorte. Rien de flottant ici, ni de vague dans la pensée ; rien d’arbitraire par conséquent, ni de personnel dans l’interprétation. Il n’y a pas deux manières de jouer Rodrigue ou Néron, il n’y en a qu’une, qui est la bonne, et toutes les autres sont mauvaises. On ne la trouvera pas toujours, sans doute, mais c’est elle qu’il faut chercher. Elle n’est pas dans la fantaisie du comédien, elle est dans le texte du poète. Prenez les stances du Cid :


Percé jusques au fond du cœur
D’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle…


ou la réponse de Néron au long discours d’Agrippine :


Je me souviens toujours que je vous dois l’empire
Et sans vous fatiguer du soin de le redire…


Je soutiens qu’il n’y a pas un geste, pas une attitude, pas un jeu de physionomie, pas une intonation qui ne soit donnée par le sens et rigoureusement nuancée par la psychologie du rôle. Même de quelques écrivains dramatiques, déjà du second ordre, tels que Beaumarchais, la remarque est encore vraie. J’ose garantir à M. Coquelin qu’il ne fera jamais accepter l’interprétation nouvelle qu’il a voulu donner récemment du Mariage de Figaro. Les applaudissemens n’y feront rien, et le texte continuera de protester silencieusement, jusqu’à ce que M. Coquelin veuille bien soumettre sa grande expérience à l’autorité de Beaumarchais et ne rien voir autre chose, comme jadis, dans le rôle de Figaro, que « de la raison assaisonnée de gaîté et de saillies. » Il n’y a qu’un Figaro qui soit le Figaro de Beaumarchais, et c’est ce Figaro que nous demandons.

C’est ici ce qui distingue les pièces qui sont ce que l’on appelle écrites, et les pièces qui ne le sont pas. On peut chercher, en dehors de Scribe et de M. Legouvé, dans l’histoire du XVIIIe siècle, des moyens d’interpréter d’une façon nouvelle Adrienne Lecouvreur, par exemple, ou le Verre d’eau. Cette prose lâche et diffuse n’enchaîne pas étroitement la liberté