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En arrivant en vue des ennemis, on s’aperçut qu’ils n’étaient que cinq ou six, fuyant à toute bride. On les courut, on les prit, et aussitôt circula dans les rangs cette nouvelle inattendue : Marceline Catriel, le frère du cacique, est prisonnier. C’était lui en effet; il avait l’air calme, mais était très pâle, il ne doutait pas que sa dernière heure ne fût venue. Le commandant Vintter avait son plan. « Comment vas-tu? lui dit-il en lui tendant la main. Tu venais te rendre enfin? C’est une bonne idée. Ne regarde donc pas à droite et à gauche, personne ici ne te veut du mal. Et ton frère, où est-il? Pourquoi diable ne vient-il pas aussi? Il serait temps qu’il finît ses manèges, ou il nous forcera à le traiter plus sévèrement que nous ne voudrions. » — Marcelino n’en croyait pas ses oreilles; on rentra au camp, et il n’en crut pas ses yeux quand on lui rendit les lièvres et les chevaux enlevés le matin. Il expliqua alors ou plutôt fit expliquer par son interprète, — il entend l’espagnol, mais évite de le parler, — que, dès qu’il avait eu réuni ces provisions exiguës, il s’était empressé, la tribu vivant d’herbes depuis deux jours, de les lui envoyer; puis il avait dormi la sieste, ne se sachant pas si près de nous. — « Et la tribu, où est-elle? — En galopant demain tout le jour, répondit l’interprète, qui était une fine mouche, nous arriverions après-demain avant que le soleil soit au zénith.» Au moment même où il articulait cet officieux mensonge, nos avant-postes s’ébranlèrent : une ligne de cavaliers, la lance en arrêt, venait de se montrer dans les derniers rayons du couchant sur une colline prochaine.

Rien ne pouvait nous être plus agréable que l’apparition de ces cavaliers. Ce n’est pas que nous pussions avoir la moindre espérance de les prendre. Ils venaient montés sur leurs chevaux de guerre, c’est-à-dire de fuite : on n’atteint pas ces chevaux-là; mais l’aspect de ce groupe en disait long. Ils portaient des lances, ce n’étaient donc pas des chasseurs; c’était une reconnaissance militaire envoyée sur les rapports alarmans des fugitifs du matin. On pouvait aller à la tolderia et en revenir en moins d’une journée; en calculant largement, elle n’était pas à plus de dix lieues. — « Brave Catriel! murmura le commandant en souriant, il m’envoie des guides! » Et appelant le major du 5e de cavalerie : « Prenez cent hommes, trois cents chevaux, des meilleurs, et suivez-moi ces gens-là, pas à la vue, ils vous feraient essouffler toutes vos bêtes pour rien, à la trace. Amenez quelques Indiens de Bahia-Blanca, pour ne pas perdre la piste de nuit, et un des prisonniers de ce soir comme guide, afin de tout prévoir. Vous savez le moyen de le faire marcher droit. Vous arriverez aux toldos à deux heures du matin; cernez-les, et ramenez tous leurs habitans, jusqu’aux chiens. Je vous attends ici. » — Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Rien ne se