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du cabinet comme indispensable tant que toutes les questions qui se rattachaient à la politique extérieure n’étaient pas définitivement résolues. Avec lord Beaconsfield à la tête du gouvernement, il n’y avait point à douter de l’exécution complète du traité de Berlin : aucune difficulté nouvelle ne pourrait être soulevée par la Russie, surveillée avec vigilance et réduite à l’isolement : la sécurité était donc absolue quant aux relations internationales. Un changement de ministère, en faisant passer la direction de la politique anglaise aux mains d’hommes animes d’un esprit différent, pouvait tout remettre en question et susciter des complications imprévues. Ce sentiment était si général et si vif au sein des classes élevées que les chefs de l’opposition se sont vus dans la nécessité de calmer par des déclarations catégoriques les appréhensions dont ils rencontraient partout l’expression.

Quelles sont donc les causes qui ont agi sur la masse du corps électoral et amené un résultat aussi contraire à l’attente générale ? Il est malaisé de les démêler. Le suffrage est devenu presque universel dans les grands centres de population, où le nombre des électeurs inscrits atteint quelquefois et même dépasse 50,000 : le scrutin secret, qui vient d’être appliqué pour la seconde fois, couvre d’un voile épais les mystères de l’urne électorale. A entendre les lamentations des vaincus qui se plaignent des nombreux manques de foi et des défections inattendues dont ils ont été victimes, il semble que beaucoup d’électeurs auraient voté dans un sens différent de celui qu’ils avaient annoncé. Qui peut dire à quelle influence ils ont obéi ?

Essayons, cependant, d’indiquer quelques causes dont l’action s’est étendue sur l’ensemble des élections et ne nous paraît pas contestable.

Les conservateurs se plaignent aujourd’hui, comme les libéraux en 1874, que le moment des élections a été mal choisi. Il est certain qu’il y a dix-huit mois, lorsque lord Beaconsfield et lord Salisbury, à leur retour de Berlin, étaient l’objet d’ovations enthousiastes, un appel aux électeurs n’aurait pas manqué d’être très favorable au ministère ; mais quel motif lord Beaconsfield avait-il d’abréger l’existence du parlement? Une dissolution ne peut avoir que deux causes : ou l’expiration prochaine du mandat de la chambre, ou un conflit entre les pouvoirs qui rende nécessaire un recours à la nation. La chambre avait alors plus de deux années d’existence devant elle; l’accord le plus parfait existait entre le ministère et le parlement, et l’adhésion donnée par celui-ci à la politique du gouvernement était sanctionnée par l’approbation éclatante de l’opinion publique. Rien n’appelait donc et n’eût justifié une dissolution. Les conservateurs eux-mêmes auraient reproché au premier