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A côté de l’éloquence professionnelle du barreau, on vit fleurir et s’acclimater au palais une autre forme de la parole publique, d’un plus haut caractère, une éloquence de tribuns en robes rouges « qui rappelait les temps de l’ancienne Rome, » et qui plus d’une fois fit gronder la tempête sous les voûtes dorées de la chambre de Saint-Louis.

L’histoire générale a décrit d’un trait bien superficiel ce curieux aspect, cette fermentation intérieure du parlement de Paris; les mémoires particuliers eux-mêmes, ceux du moins qu’on a publiés, manquent de couleur et de précision dans le compte-rendu des séances les plus animées : le huis-clos prononcé contre l’indiscrétion des contemporains s’est étendu jusqu’à nous et perpétue notre ignorance. Essayons de remettre en lumière ce qu’on a trop laissé dans l’ombre. Comme on le pense bien, nous ne parlerons ni des remontrances portées au Louvre et à Versailles en grand appareil, ni des harangues du parquet, ni des réponses du chancelier de France, défenseur attitré des droits du souverain : cette partie officielle, démonstrative et décorative de l’éloquence parlementaire, qui correspond à ce qu’on appelle aujourd’hui adresses au roi, messages du président, discours de la couronne, est tombée depuis longtemps dans le domaine public, et nous sommes dispensés de caractériser ces morceaux oratoires, parfois vigoureux, mais pleins de déclamation et de mauvais goût, aussi connus que les solennelles harangues des états-généraux, dont ils reproduisent presque toujours les idées, les sentimens et le style. Cherchons une éloquence plus vivante et plus libre, où les convictions de ce temps-là aient marqué leur empreinte, où les passions aient mis leur flamme et leur emportement. C’est celle qui éclatait dans les délibérations des chambres assemblées, toutes les fois que le parlement entrait en lutte ouverte contre l’église ou contre la cour : chaque membre opinait debout, à son rang, sur la question à l’ordre du jour, et les plus ardens soutenaient d’un discours leur opinion. De la mêlée des opinions, du choc des avis opposés sortaient à la fin, sous une forme précise et condensée, ces mémorables arrêts, d’un si vaste retentissement, qui frappaient à coups redoublés l’ultramontanisme et le pouvoir absolu; mais les procès verbaux, en enregistrant les décisions prises, ont supprimé le long combat de paroles qui avait précédé le vote et fixé la victoire.

Devons-nous donc renoncer à recueillir les débris de cette éloquence exclue à dessein ou par négligence des comptes-rendus officiels, à peine constatée dans de rares chroniques, et qui nous est surtout connue par les ef1er ets qu’elle a produits? En trouverons-nous des monumens assez complets, assez certains pour nous permettre