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un murmure, éleva la voix pour le dominer, puis, s’arrêtant tout à coup : « Messieurs, dit-il, je ne parle pas pour plaire à tous ceux qui m’écoutent, mais pour obéir à ma conscience. » Le président Hénault, qui pendant soixante ans avait vu ces assemblées à l’œuvre, les caractérise d’un trait fort juste: « C’est l’image d’une république qu’il faut réduire sans la maîtriser. »

Les séances étaient secrètes, mais les spectateurs privilégiés, admis dans de petits cabinets boisés qu’on appelait les lanternes, suivaient les débats en témoins invisibles et très attentifs : de là venaient et circulaient sans cesse des bruits, des récits, des billets manuscrits avidement reçus et colportés par l’impatiente curiosité de l’immense public qui remplissait la grand ’salle, les galeries, la cour et les deux escaliers du palais. Ainsi se préparait et se faisait, à défaut d’une presse politique, l’opinion parisienne. Dans les jours de grande émotion, tout Paris affinait aux abords du parlement ; la plupart des curieux couraient aux nouvelles, quelques-uns, plus audacieux, venaient pour agir et manifester. En 1651, le cardinal de Retz, se sentant menacé par les gens du prince de Condé, s’y rendit avec une escorte de quatre cents gentilshommes et de quatre mille bourgeois armés ; ses ennemis étaient pareillement en force, ce qui donnait « au temple de la justice » l’aspect d’un camp. D’Ormesson évalue à douze mille personnes la foule qui accompagnait « messieurs » lorsqu’ils allèrent, en grand appareil, le 16 juin 1648, faire des remontrances à la reine au Palais-Royal. Un autre jour, le 13 juillet suivant, pendant qu’on délibérait sur l’édit du tarif, une troupe de paysans envahit la salle des Pas-Perdus en réclamant l’abolition de la taille. Les grondemens de cette mer houleuse, qui débordait sur le parlement, pénétraient dans la salle des séances, séparée du public par une antichambre d’huissiers, et y portaient la terreur ou l’encouragement de l’agitation populaire; on y délibérait sous l’obsession des menaces ou des faveurs de la multitude. Deux jours après la fuite du roi à Saint-Germain, le 8 janvier 1649, un conseiller dit, en opinant, « qu’on entendoit la voix du peuple demandant la tête du Mazarin, et qu’il y auroit péril à la refuser. » Le premier président Mathieu Molé l’arrêta d’un mot : « Il ne faut pas considérer, monsieur, ce que demande le peuple, mais bien ce qui est juste. » Le 29 février suivant, pendant les préliminaires de la paix de Ruel, le peuple, se croyant trahi, accourut avec force épées et poignards en criant qu’il fallait poignarder le premier président, la grande barbe, comme il l’appelait; M. de Mesmes, président à mortier, vint donner cette nouvelle, la pâleur sur le front, et proposa d’envoyer à la foule une députation pour l’éclairer et l’adoucir. Mathieu Molé, « l’homme le plus intrépide de son siècle, » s’y