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impossible de continuer ; » et, renonçant à la parole, il se rassit. « Sur quoy, M. le duc d’Orléans et M. le prince lui firent des excuses qui le décidèrent à reprendre son discours. »

Ce vaillant orateur, ce maître du parlement, était un homme peu imposant d’aspect, sans éclat extérieur, un de ces hommes de contenance simple et modeste dont nous disons aujourd’hui que la tribune les transfigure; avec cela, dénué de biens, de pensions et d’établissemens, habitant une pauvre maison, sur le port Saint-Landry, en face de la place de Grève, n’ayant pour tout domestique qu’une vieille servante et un petit laquais. Les groupes populaires, nombreux à toute heure sur la place, et les bateliers du quai voisin tournaient souvent la vue vers les fenêtres de la maison de Broussel ; dès qu’ils l’apercevaient, ils l’acclamaient. Rien d’étonnant que Retz, un brouillon infatué de l’orgueil de caste, un Saint-Simon de barricades et de guerre civile, et tant d’autres factieux titrés et empanachés qui battaient l’estrade dans les rues de Paris avec cinq cents chevaux à l’ordinaire, disputant le pavé au roi, aient fait peu d’état d’un homme sans suite et sans carrosses; mais ce vieillard de petite apparence, ce vertueux, qui n’écoutait que sa conscience et ne vivait que pour le devoir, possédait, outre son talent de parole, une puissance intérieure de conviction et de caractère dont les assemblées et les multitudes subissent l’empire : on le savait incorruptible. Avant de le frapper, la cour avait tenté de le séduire. Le 5 août 1648, tout le parlement avait vu le duc d’Orléans, chargé de cette mission délicate, prendre Broussel à part, dans la Sainte-Chapelle : là, il lui avait offert, au nom de la reine, avec des louanges infinies sur son mérite, une place au conseil du roi, une pension considérable et la survivance de sa charge de conseiller au parlement pour son fils. « Sa majesté n’ignore pas, lui avait dit le prince, que vous avez toujours méprisé les biens de la fortune pour posséder ceux de l’esprit et une réputation sans tache, mais elle regrette que jusqu’à présent votre zèle pour le roi et pour le public, vos belles et glorieuses actions soient restés sans récompense. Il n’est pas raisonnable qu’une si généreuse vertu soit si mal traitée et qu’un homme de votre sorte meure sans avoir de quoi soutenir sa maison et établir ses enfans. » Broussel avait résisté à ces flatteuses avances.

Vénéré du parlement, adoré de la multitude, aux yeux de qui cet homme simple réalisait l’idéal populaire de la vertu politique, il excitait, à cette époque de fièvre, un enthousiasme que les relations contemporaines les plus sincères ont vivement décrit. Il y est qualifié de « généreux athlète, de père de la patrie ; » c’est un « héros, plus illustre que ceux de l’antiquité, un trésor cher au