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lui-même de la loi, M. Jules Simon. M. le garde des sceaux n’hésitait point alors à reconnaître qu’on avait raison ; il s’empressait de déclarer que le principe de la non-rétroactivité des lois devait être respecté, qu’il maintiendrait pour le passé l’assimilation des grades obtenus devant les jurys mixtes ou devant les facultés de l’état, que le règlement serait retiré. C’était expliqué, entendu, admis d’un commun accord. M. le garde des sceaux ne se bornait pas à une déclaration, il multipliait les déclarations sous toutes les formes. Rien de plus net, de plus positif, et sur ces assurances réitérées un amendement qui allait selon toute apparence être adopté par le sénat était spontanément retiré comme inutile. Qu’est-il arrivé cependant? Le vent a emporté les déclarations de M. le garde des sceaux. Le conseil d’état, « avec une respectueuse indépendance, » a maintenu son décret sans tenir compte ni des engagemens du ministre qui le préside ni des intentions du sénat, et il y a quelques jours à peine a paru un arrêté ouvrant un concours prochain pour l’auditorat avec la condition établie par le règlement du 14 août 1879. On a procédé comme s’il n’y avait eu absolument rien dans le sénat.

Franchement c’était un peu leste. On ne pouvait se jouer d’une façon plus dégagée d’une parole donnée devant une assemblée sérieuse. La question restait entière et c’est ce qui a été justement l’objet de l’interpellation nouvelle de M. Henry Fournier, qui n’a eu qu’à exposer simplement les faits pour montrer ce qu’il y avait de bizarre et même de peu digne dans de tels procédés. M. le garde des sceaux, il faut le dire, s’est trouvé singulièrement embarrassé; mis en présence de ses propres déclarations, il s’est quelque peu perdu dans les subterfuges, dans les distinctions et il n’a réussi qu’à dévoiler ses faiblesses. Il a expliqué qu’il s’était en effet adressé au conseil d’état comme il l’avait promis, qu’il lui avait dit que c’était après tout d’un mince intérêt, mais que le conseil d’état avait tenu ferme, que ce conseil tenait d’ailleurs incontestablement de la loi de son institution le droit de faire des règlemens sur les conditions et les formes du concours pour l’auditorat. Bref le tour était joué et rassemblée a bien su qu’en penser. De tout cela on peut, ce nous semble, tirer un certain nombre de conclusions. Ce qu’il y a d’assez sensible d’abord, c’est que le principe de la non-rétroactivité des lois n’est pas aussi incontesté que l’a dit M. le ministre de la justice, que la séparation des pouvoirs n’est qu’un vain mot puisque le conseil d’état peut se moquer du sénat, que M. le garde des sceaux, enfin, n’a qu’une autorité peu sérieuse sur un corps qu’il préside, dont les décrets n’ont de valeur que lorsqu’il leur a donné sa sanction. C’est déjà assez caractéristique comme spécimen-de la confusion qui tend à s’introduire dans nos affaires administratives et politiques. Ce n’est point là encore, toutefois, ce qu’il y a de plus grave. Il ne s’agit nullement, cela est de toute évidence, de contester au conseil d’état le droit de faire des règlemens