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et suis si intime avec toi. Je te révèle cela en ce moment, et ne l’ai point fait jusqu’ici, car nous allons bientôt être séparés corporellement l’un de l’autre, et je ne sais si nous nous reverrons encore dans cette vie. Je te dis donc cela pour que tu puisses en tirer ta consolation. »

Le départ eut lieu le lendemain. Toute la petite société de Stommeln accompagna le bon Suédois sur la route. Le récit que Pierre nous a fait de la séparation est plein de naturel. Son compagnon, Suédois comme lui, était touché jusqu’aux larmes. Il fut, à partir de ce jour-là, le dévot de Christine, et donna à la béate ses patenôtres, qu’il portait sur sa personne depuis quatre ans.

A diverses reprises, Pierre avait demandé à Christine de mettre par écrit le récit de ses états intérieurs et de ses épreuves. Elle l’avait fait, se servant pour cela de la plume du curé de Stommeln, En partant, elle remit le cahier à Pierre, qui l’emporta avec lui. Ces espèces de confessions, qu’il destinait à une Vie de Christine, nous ont été conservées, et, malgré un grand trouble d’imagination, elles révèlent une âme droite. La plus curieuse page est celle où Christine décrit de visu le purgatoire et l’enfer. Sa description est sommaire et n’approche pas de celle de Christine de Saint-Trond, où l’on a voulu voir un des antécédens de la Divine Comédie.

Le voyage fut long et difficile. Il se fit en plein hiver, et le froid, cette année-là, fut extrême. Deux lettres de Pierre nous ont été conservées, l’une de Minden, l’autre de Halmstad, dans le Halland, Ces deux lettres sont fort belles et en font regretter d’autres du même voyage qui se sont perdues. Le sentiment y est vraiment élevé; on n’y trouve nulle tache de croyances superstitieuses. Ces deux lettres mériteraient d’être citées comme modèles de ce latin dévot du XIIIe siècle, qui a son charme. Une douce tristesse, ou, si l’on veut, une joie triste les remplit. Pierre était crédule, mais honnête et affectueux. De belles paroles de l’Écriture et la joie mystique d’un amour partagé lui font trouver légères les fatigues du chemin. Très sincèrement, les deux pieuses personnes n’ont qu’une préoccupation : mourir ensemble, ne pas se survivre d’un jour.

De retour en Suède (6 février 1271), Pierre fut nommé lecteur à Skenninge (diocèse de Linköping). Il écrivit un grand nombre de lettres à Christine; mais deux ans s’écoulèrent avant qu’il reçût aucune lettre d’elle. Les lettres de Christine passaient par le couvent des dominicains de Cologne, et souvent, ce semble, y étaient retenues. Celles de Pierre subissaient aussi de grands retards, et quelquefois, pour arriver à Stommeln, passaient par Paris. Au chapitre d’Aarhuus (1272), Pierre reçut enfin de son amie quatre lettres désolées. À cette époque, c’est le curé de Stommeln qui sert