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point que ces saintes femmes avaient joui des faveurs de leur époux céleste, a entraîné d’autres confusions.

De nos jours, la Vie de Christine a été reprise par un ecclésiastique du diocèse de Cologne, M. Théodore Wollersheim[1]. Les principes de ce biographe sont à peu près ceux de Joseph Gœrres. Il admet la pleine réalité des faits racontés dans les Bollandistes. Il a revu sur les manuscrits plusieurs des textes publiés par Papebroch, et souvent il les corrige. Il ne connaît pas les observations d’Échard ; mais il ajoute aux données de ses devanciers une foule de renseignemens qu’on ne pouvait guère obtenir que dans le pays de Christine.

Ici, même, dans ce recueil[2], M. Alfred Maury a nommé la sainte, en compagnie des extatiques et des stigmatisées, auxquelles la physiologie l’associera désormais. C’est probablement comme malade que la pauvre Christine sera dans l’avenir étudiée. Pour être juste, cependant, il ne faudra pas oublier son roman d’amour. Le cœur humain retrouve partout ses droits. Il triomphe du matérialisme le plus froidement positif; il triomphe du mysticisme le plus oublieux de la réalité. Entre les médecins, qui la feront asseoir sur leur sellette d’expérience, et les fidèles qui l’ont mise sur leur autel, Christine restera, grâce à Pierre de Dace, un curieux sujet de réflexion pour ceux qui aiment à chercher la petite fleur dans la terre à demi gelée des fiords de Norwège, le rayon de soleil dans les régions polaires, le sourire de l’âme dans les siècles les plus tristes, la vérité des sentimens au milieu des plus bizarres illusions. Les îles Loffoden, le lugubre archipel de Tromsoë valent par momens Ischia et Caprée; les belles heures y sont infiniment plus rares; mais, à ces heures-là, on sent bien qu’il n’y a au monde qu’un seul soleil, une seule mer, un seul ciel.


ERNEST RENAN.

  1. Das Leben der ekstatischen Jungfrau Christina von Stommeln; Cologne, 1859, petit in-8o.
  2. Voyez, dans la Revue du 1er novembre 1854, l’étude sur les Hallucinations du mysticisme chrétien.